5:55, le retour de Charlotte Gainsbourg (L’Express)

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Par Gilles Médioni (LEXPRESS.fr), publié le 31/08/2006

Vingt ans après ses premiers pas dans la chanson, elle fait son retour. L’occasion pour Charlotte Gainsbourg de revenir sur la conception de son nouvel album, 5: 55, et sur sa rencontre avec le groupe Air

Un thé anglais qu’elle commande en chuchotant. Des jambes longues comme la nuit serrées dans un jean. Une grâce et un mystère de jeune fille. C’est Charlotte Gainsbourg, 35 printemps. Vingt ans après l’album Charlotte for Ever, la chanteuse revient avec 5: 55, un disque écrit par Air, auteur, notamment, de la bande originale de Virgin Suicides. 5: 55 raconte l’histoire d’une jeune femme pleine d’insomnies qui promène son vague à l’âme dans les jets et les chambres d’hôtel. Le duo versaillais a composé une musique scintillante qui forme un écrin pour la voix de soie de Mademoiselle Gainsbourg. Qui se livre pour L’Expressmag tout en nuances et en douceur.

Pourquoi je chante
« J’ai chanté grâce à mon père et parce que c’était lui. L’enregistrement de Charlotte for Ever a duré cinq jours. J’avais 14 ans, je me suis laissé guider. Pour 5: 55, l’approche était différente. Le processus de fabrication a duré un an avec des pauses qui m’ont permis de me libérer de mon trac. Malgré tout ce que mon père m’avait apporté, l’angoisse était là. Les premières prises n’étaient pas bonnes. J’ai chanté les titres 20 fois, 30 fois, avant d’arriver à un résultat qui me plaise. »

L’élaboration de 5: 55
« Le français faisait trop référence à mon père et ne me laissait aucune liberté. J’ai choisi l’anglais. J’ai indiqué à Air les sujets que je voulais aborder en allant au plus intime – le rêve, la nuit, la solitude. Pour retrouver les sensations violentes que je cherchais, j’ai pensé au cinéma. La plupart des films qui sont ressortis m’ont renvoyé à l’image de moi, petite. J’ai dû voir 20 fois La Nuit du chasseur, Le Magicien d’Oz, Los Olvidados, Shining, Le Bal des vampires… Je ne sais pas comment Air a utilisé mes notes, mais il était important qu’un dialogue s’établisse autour de choses très précises. J’avais envie d’un album cohérent où toutes les chansons auraient un sujet commun, même si elles ne racontaient pas forcément une histoire. »

In the Air
« A la sortie d’un concert de Radiohead, en 2003, j’ai rencontré, par hasard, Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin d’Air. J’étais très admirative de leur musique sans forcément penser à une collaboration. Ils venaient de remixer, pour le plaisir, la chanson du générique de Love, etc., de Marion Vernoux, dans lequel je jouais. J’ai pensé que ma voix pouvait coller à leurs ambiances planantes. L’idée de l’album a avancé naturellement. Quelques musiques ont vite été prêtes, mais il n’y avait pas de textes. Nigel Godrich a appelé Neil Hannon [Divine Comedy] pour qu’il nous dépanne, mais il travaillait sur son propre album et n’a passé que deux jours avec nous. Avec lui, je me suis rendu compte de ce qu’est un auteur. Et puis on a contacté Jarvis Cocker [Pulp]. J’ai alors vu les morceaux se construire à partir des thèmes que j’avais soulignés. Jarvis a amené l’idée du voyage en avion [AF 607105], de la réflexion sur le métier d’actrice [Jamais], de la perversion à vouloir contrôler quelqu’un [The Operation]… Tout le monde me poussait à écrire et, au final, j’ai signé quelques textes dont Morning Song, où j’évoque un fantôme [son père], et que Jarvis a remanié: c’était un joli poème à lire, pas à chanter. Je n’ai définitivement pas le sens du rythme. 5: 55 est un voyage personnel, un trajet, une humeur. Un personnage s’endort. Et un rêve prend forme. »

Ma discothèque
« En général, je demande toujours leurs disques préférés aux gens que j’admire. Jean-Benoît m’a confectionné sa compilation idéale. Nicolas m’a conseillé Transformer, de Lou Reed – en fait je connaissais déjà toutes les chansons sans savoir qu’elles étaient sur cet album. Certains CD tournent en boucle chez moi: Elvis, les Beatles, les Variations Goldberg, de Bach, par Glenn Gould, des musiques de comédies musicales (West Side Story, Bugsy Malone) et des chanteurs français ?drôles » comme Nino Ferrer. J’ai découvert récemment les essais solo de Syd Barrett, les White Stripes, les Libertines, et je suis une inconditionnelle de Radiohead. Leur côté dramatique me plaît, même si c’est plombant. La musique ne provoque pas toujours des sensations agréables. »

La scène
« Quand on m’a parlé de monter sur scène, dans les mois à venir, j’ai réécouté Charlotte for Ever pour penser à un répertoire. Les titres que j’aime le plus sont les duos avec mon père. C’est encore très difficile d’écouter sa voix. Je ne vais quand même pas les chanter avec un autre… Pour entamer un tour de chant, il faudrait que je m’en sente vraiment capable. Je me suis remise au piano, je sais jouer. Mais je ne sais pas danser ni bouger. Je ne ferais surtout pas un show. »

Mon père
« J’ai beaucoup, beaucoup pensé à lui durant l’enregistrement. J’essaie, depuis quinze ans, de transformer en musée son petit hôtel particulier de la rue de Verneuil, à Paris. J’ai récemment créé une association et l’architecte Jean Nouvel m’a aidée à monter un projet. Je croise les doigts. Vu la place que mon père occupe dans la culture française, je crois qu’il serait intéressant de visiter l’endroit où il a écrit, composé, improvisé. Une personnalité différente s’en dégagerait. Et elle ne ressemblerait pas forcément à l’image qu’on a de lui. » .

 

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