‘5:55’, son premier album, est dans les bacs… Portée par la folie créatrice d’Air, Charlotte Gainsbourg s’est enfin décidée à reprendre le chemin des studios. A l’image d’une comédienne précoce et douée, elle doit désormais ajouter et assumer celle d’une chanteuse aérienne et mélancolique…
Si Charlotte Gainsbourg est une icône et qu’elle fait la une de petits magazines comme Elle, Les Inrocks, Télérama et que les consignes d’interview sont fixées deux semaines avant notre rencontre – pas de photos, venir seule, préciser si dictaphone ou prise de notes, etc. -, c’est très certainement malgré elle. La Charlotte que l’on rencontre est débordante de simplicité. Passionnée par son expérience en studio, elle n’en finit pas de sourire en se remémorant la concrétisation de son rêve. Fatiguée qu’on lui rabâche les oreilles d’être « née » Gainsbourg, la jeune femme dit apercevoir, enfin, le bout de la promo et appréhender la scène. Cet album, c’est son truc à elle. Elle l’a mené à terme, entourée d’une équipe de rêve : Air, Nigel Godrich, Jarvis Cocker… Distillant ses propos avec pudeur, Charlotte Gainsbourg raconte sa venue au monde musical pleine de doutes et d’envies…
Vingt ans que vous n’aviez pas mis les pieds dans un studio… Pourquoi ? Trop difficile ?
J’étais allée en studio à de petites occasions. Je ne considérais pas la chanson comme mon métier. Je faisais des films. C’est très progressivement que je me suis autorisée à penser que, peut-être, je pourrais faire quelque chose. Depuis une dizaine d’années, j’étais en rapport avec une maison de disques. Mais je n’étais pas du tout décidée. Il a fallu que je rencontre Air pour me sentir volontaire. Ils ont concrétisé mon rêve. Cette expérience est vraiment gravée grâce à eux. J’avais envie de manière passive. Après notre rencontre, on ne s’est pas juste dit « Tiens, on va faire un album, c’est super ». Ca a pris du temps, là aussi. La seule certitude que j’avais était d’aimer leur travail. J’avais l’impression que ma voix pouvait coller sur leur musique.
Derrière un micro, on est plus libre que devant une caméra. Comment avez-vous vécu cette nouvelle liberté ?
Je ne me rendais pas compte du manque de direction que j’aurais. J’avais pensé à la musique, au texte, à ma voix, mais pas à l’exercice que ça allait être. C’est une fois derrière le micro que j’ai réalisé. C’est bizarre d’ailleurs de dire le manque de direction. C’est juste que je n’avais pas une personne qui allait me dire comment faire. C’est une déformation du métier d’actrice. En revanche, j’ai été aidée. Tout le monde me donnait son avis, m’encourageait. Ce n’était pas des murs de silence face à moi.
Quelles étaient vos exigences quant à la réalisation de cet album ?
Je me faisais beaucoup de soucis pour les textes. J’avais peur de ne pas y arriver. Et c’est le cas, je n’y suis pas arrivée. On m’a forcé la main pour aller enregistrer, Air me disaient qu’il fallait qu’on avance. Pour eux, les textes n’avaient pas cette importance capitale. Ils écrivent des trucs superbes, mais ils me disaient tellement ouvertement que ce n’était pas leur truc, les textes. Moi, je leur disais « C’est mon truc ! J’ai besoin de beaux textes, j’ai envie d’être fière. » Ce qui m’effrayait c’est que je ne voyais pas où on allait. Je ne savais pas qui allait être l’auteur incroyable dont j’avais besoin. Neil Hannon est venu plus tard. Jarvis encore plus tard… J’ai eu également envie qu’il y ait des thèmes principaux que l’on puisse retrouver au fil de l’album. On avançait souvent avec les titres des chansons mais sans le texte. On est quasiment toujours parti des mélodies pour arriver aux textes. Le plus important était que l’atmosphère du disque soit là et c’était le cas grâce à Air.
Pourquoi le choix de la langue anglaise ?
C’était très important pour moi, une solution évidente. J’ai fait une croix sur le français dès le début. Je faisais trop le rapprochement avec les textes de mon père. Même si mon texte n’avait rien à voir, j’allais chercher le mot qui me rappelait telle ou telle chanson de lui. Ce n’était pas bien d’avancer comme ça. Avec la promo, on me parle tellement de mon père, comme si j’en parlais volontairement… A l’origine de ce projet, dans ma tête, ce n’était pas du tout ça. Je faisais un album, c’était mon truc. Je ne voulais pas qu’on parle de lui, qu’on fasse des rapprochements. D’où l’anglais.
Une façon de vous affranchir de son ombre ?
Evidemment que sa présence compte, c’est quelqu’un de trop important pour moi. Mais je n’ai pas fait un album en fonction de lui. Evidemment, il y a plein de clins d’oeil et j’en suis contente. Mais, je ne m’attendais pas à ce qu’on me parle autant de Serge Gainsbourg. J’ai fait le ‘7 à 8’ dernièrement. Je n’ai pas parlé deux minutes de mon album. Toutes les questions tournaient autour de mon père et de mon enfance… Au bout d’un moment, je lui ai dit d’arrêter, mais…
Pour revenir à l’anglais : c’est une langue qui se prête à l’ambiance mélancolique et aérienne de votre album ?
Je crois qu’il y a plus de rythme dans les mots anglais. Et puis, c’est plus facile d’écrire en anglais. J’ai l’impression que quand on entend sa première langue, on fait très attention au texte. En anglais, on est moins dans l’analyse de texte. Les mots sautent moins. En français, s’il n’y a pas un génie derrière, c’est vraiment moins bien.
Et l’arrivée de Jarvis : un soulagement ?
Enorme. Quand on a fait appel à lui, mon angoisse était qu’il n’ait pas envie. Quand je l’ai rencontré, au lieu de lui demander d’écrire tout l’album, je lui demandais d’écrire telle ou telle chanson. J’étais trop vague dans ma demande. J’allais à la pêche. Je ne voulais pas qu’il soit mal à l’aise. C’était incroyable cette facilité à écrire. Cette capacité de faire de petits brouillons qui n’avaient l’air de rien dans un cahier et une heure après… il avait un texte vraiment parfait.
Jamais l’hypothèse de réaliser le disque seule ne vous a effleurée ?
L’album… jamais (rires). Je suis incapable de faire de la musique. Si c’est pour chantonner trois bouts de chanson, je ne vois pas l’intérêt. Je me vois mal compter sur moi. Il faut qu’il y ait un vrai talent derrière moi. Seule, ça ne suffit pas… Et puis, c’était un tel plaisir de les voir composer devant moi. De voir un morceau naître, c’est magique. Quand un instrument vient se poser sur un autre… Toute la cuisine interne m’a excitée.
Loin des influences familiales, quelles ont été vos sources d’inspiration pour cet album ?
Je suis partie de films. C’était tellement flou quand je me suis dit que j’allais faire un album avec Air. Il fallait qu’on apprenne à se connaître. Je voulais qu’ils connaissent des trucs intimes. J’essayais de mettre sur papier des choses qui me touchaient. Je ressortais sans arrêt des phrases de film que j’avais entendues, il y a très longtemps, comme « There’s no place like home… » Tout avait un lien avec des émotions de mon enfance. Il y avait ‘Le Magicien d’Oz’, ‘La Nuit du chasseur’- ce qui a beaucoup compté pour Air, ‘Shining’ et ‘Los Olvidados’ de Buñuel. Il y a un véritable onirisme dans ce dernier film. Le fait d’avoir envie d’illustrer des cauchemars m’amuse. Pour ce qui est des références musicales, j’ai parlé de ‘Melody Nelson’, mais je ne voulais surtout pas que l’on essaye de faire un album qui lui ressemble. Ca aurait été une intention affreuse. Je souhaitais qu’on ne puisse pas dissocier les chansons. Je voulais que ce soit plein, cohérent, qu’il y ait une logique entre les chansons.
Et votre voix légère et fragile, vous l’avez travaillée dans cet esprit ?
On parle de voix fragile… J’ai essayé d’être le moins fragile possible. J’ai eu beaucoup de temps pour gommer le côté « petite voix ». Je voulais aller dans les graves plutôt que d’aller dans les aigus – ce que j’avais déjà fait avec mon père. Les aigus présentent un risque de fragilité. J’ai jonglé avec les cours en me disant que j’en avais besoin, parce que je n’avais pas assez de souffle, que je devais apprendre à me chauffer la voix, à maîtriser le côté technique, à prendre de l’assurance. D’un autre côté, je ne voulais pas que ça gomme le caractère de ma voix. Jarvis, de son côté, m’avait filé une cassette de vocalise. Une cassette très anglaise, très snob, venant de sa part c’était très comique…
La presse adhère totalement à votre album. Il est rare qu’une actrice qui passe derrière le micro fasse l’unanimité…
Je n’ai pas voulu tout lire, mais je suis curieuse des réactions des gens. Je suis comblée mais je suis de nature méfiante. Il va y avoir un mauvais truc un de ces quatre. C’est de la superstition idiote. Je n’arrive pas à me sentir peinard. J’ai peur que tout le monde s’enflamme et que la semaine d’après ça retombe ! J’ai peur des déceptions en fait. On verra en fin de parcours si c’était bien ou pas.
Quelles réactions, quelles émotions souhaiteriez-vous que votre disque provoque à son écoute ?
Je voudrais qu’on se plonge dedans. Que ceux qui l’écoutent restent un moment suspendus. J’aime beaucoup cette idée. Personnellement, je ne peux pas mettre un CD en fond sonore. J’aimerais emmener le public dans ma bulle. J’aimerais qu’on puisse l’écouter de A à Z sans se lasser, sans zapper une chanson.
Demain, la scène…
L’angoisse. Ma première peur était de donner des interviews. A peine finie la promo, il faut faire les radios live… J’en ai déjà fait deux. Bientôt, c’est au tour de ‘Taratata’… Pour l’instant je n’ai pas réussi à faire un truc qui me plaisait. Tout le monde me dit que c’est normal. Je me suis réécoutée et je ne suis pas contente. Je ne sais pas contrôler ma peur.
Sortir un CD, c’est plus angoissant que d’être à l’affiche d’un film ?
Ah oui, c’est différent ! J’ai envie d’accompagner l’album. Le succès d’un film paraît éphémère. On a tous envie que ça marche, on est excité le premier mercredi et après on sait que c’est difficile de tenir. On est content si on est encore là, la deuxième ou troisième semaine. Tout le monde me dit qu’un album se fait sur la durée. Qu’on mesure l’enthousiasme des gens sur la longueur. Ce n’est pas parce que la presse est unanime, que le public va adhérer. Pouvoir accompagner le disque, parce que j’en suis fière, me plaît. Me dire que j’ai peut-être un an et demi devant moi, que je peux prendre le temps. Même pour le live, ça m’angoisse mais j’en ai envie…
Y a-t-il d’autres domaines que vous souhaiteriez explorer ?
J’aimerais savoir écrire. Ecrire des chansons, mais également des livres. Je ne me sens pas du tout assez forte. J’adorerais avoir le plaisir d’être seule dans l’écriture. Je parle beaucoup de solitude et d’isolement dans le disque…
Mélanie Carpentier avec la participation de Mikael Demets pour Evene.fr – Septembre 2006