Par Nicolas Crousse, Le Soir, lundi 23 août 2010, 10:20
Entretien Charlotte se confronte encore à la mort dans le nouveau film de Julie Bertuccelli, « The Tree », mais c’est pour mieux sourire à la vie. L’actrice est toujours prête à se jeter à l’eau. Dans un entretien exclusif, elle nous parle des doutes qui l’assaillent à chaque tournage.
A 39 ans, Charlotte Gainsbourg peut dire « Merci la vie ». En septembre 2007, elle frôlait la mort en faisant une hémorragie cérébrale, au moment même où I’m not there, le film de Todd Haynes dans lequel elle jouait la compagne de Bob Dylan, était présenté à la Mostra de Venise. Si, depuis, la vie lui sourit, c’est sans doute parce que c’est Charlotte qui sourit à la vie. Et que son sourire, franchement, rien ni personne ne peut lui résister.
L’année qu’elle vient de vivre depuis le printemps 2009 est exceptionnelle. AntiChrist de Lars von Trier a frôlé la Palme d’Or mais le prix d’interprétation est allé à la fille de Jane et Serge. Dans la foulée, Charlotte sortait un nouveau disque, IRM, concocté avec Beck, en nous convainquant de son talent immense. Et cet été, alors qu’elle entame ses débuts sur scène, s’apprête à chanter au Japon et retrouve depuis quelques semaines Lars von Trier sur le tournage de Melancholia, d’où elle nous a accordé l’entretien qui suit, là voilà dans le merveilleux film de Julie Bertuccelli, The Tree. Elle y est à nouveau confrontée à la mort.
Mais tandis que dans AntiChrist, von Trier la filmait au bord du gouffre et cédant à un désir de vengeance sanguinaire, ici Charlotte s’avance en femme et mère de famille certes fragile, mais bien vite rattrapée par les frémissements de la vie après la mort. Et c’est un bijou, gorgé d’amour, qui nous va droit au cœur.
Après « Merci la vie », « AntiChrist » ou « L’Effrontée », voilà un nouveau rôle majeur dans votre filmographie.
C’est vrai qu’il y a peu de films dans lesquels on plonge vraiment, avec une vraie affection pour un rôle. Et ici, pour le parcours d’un rôle. C’était une aventure, ce tournage. Ce côté familial, on ne me l’avait jamais confié avant. Une mère avec quatre enfants, pas forcément avec un côté très maternel au début. Mais elle se découvre peu à peu, et c’est ça que je trouve vraiment beau dans ce rôle.
Qu’est-ce qui vous a décidée à vous embarquer sur cette lointaine aventure ?
L’écriture, d’abord. J’ai le souvenir d’avoir découvert le scénario, sans connaître le metteur en scène. Sans savoir si c’était français ou anglais. Il y avait une telle sensibilité, dans les dialogues, les descriptions et dans cette manière de s’attarder sur les enfants, avec de petites choses qui sont très très rares. C’était si fin, émouvant, drôle aussi. C’est pourtant une histoire de deuil avec quelque chose de très torturé, mais les enfants et le regard de Julie (Bertuccelli) amènent quelque chose de léger dans le malheur.
On pourrait croire qu’après « AntiChrist », vous enchaînez les films sur la mort et le deuil. Et pourtant…
Pourtant oui, ces deux films sont à l’opposé. Ici, on explore la douleur d’une façon toute autre. Pas dans la comédie, non. Mais il y a ici un amour de la vie qui se manifeste très différemment.
Faites-vous du cinéma comme une exploratrice ? Des films comme « The Tree » ou « AntiChrist » vous ont-ils appris quelque chose sur vous ?
AntiChrist m’a appris sur le laisser-aller, oui. La vraie découverte concernait là davantage la méthode de travail. Il fallait essayer de trouver une liberté dans le jeu. Mais j’ai plus appris sur moi au travail que sur moi dans la vie. The Tree, je l’ai vécu plutôt en solitaire, ce qui était bien pour moi, utile. Julie avait tellement de choses à faire avec les enfants que j’avais un peu mon monde à moi.
Lorsque nous l’avons rencontrée, Julie Bertuccelli insistait sur le talent qu’ont les enfants pour transformer une épreuve aussi douloureuse que la perte d’un père en quelque chose de créatif, nourri par l’imagination. Vous êtes sensible à cette façon de transformer la mort en quelque chose de vivant ?
Oui, et je trouve tellement touchant la phrase que Simone, ma fille dans le film, prononce, lorsqu’elle dit « j’ai choisi d’être gaie, d’être heureuse ». C’est honnête, enfantin, beau. Simone est un personnage très vrai, et interprété de manière géniale par cette petite fille, Morgana. Je ne me suis pas rendu compte sur le tournage à quel point elle était magique. J’avais vu des essais où elle était évidente. Mais quand j’ai vu le film, elle a une magie très rare. Cela dit, j’étais très intimidée du fait que l’histoire était si proche de Julie. A côté de ce qu’elle avait vécu (NDLR : la perte subite de son compagnon), j’avais un peu l’impression de faire semblant. Il fallait interpréter cette femme d’une manière juste.
A son frère qui lui dit qu’on doit vivre avec les vivants, Simone, furieuse, lui rétorque : « avec les morts aussi ! » Ce cri du cœur est-il aussi le vôtre ?
Moi, j’ai vécu trop avec les morts. Il a fallu à un moment que je me réveille et que je me tourne plus vers la vie. C’était tout ou rien. La vision de Simone est belle ! Mais moi, je n’ai jamais été assez saine d’esprit pour avoir une bonne morale par rapport à la perte des gens. Je n’ai jamais su faire.
Récemment, vous avez repris la chanson de Jean-Pierre Ferland, « Le chat du café des artistes ». Une petite merveille, parlant de la mort, de l’animisme, de l’imaginaire… qui, à bien la réécouter, fait penser à l’esprit du film.
C’est vrai, tiens. Ce côté « tout ce qui nous entoure », ça pourrait se rapprocher. A la fois, il y a un côté tellement absurde dans cette chanson, qui me fait rire.
Le regard déterminé de Morgana rappelle le vôtre, quand vous débutiez pratiquement, dans « L’Effrontée ». Vous étiez venue au Marivaux de Bruxelles, pour l’avant-première, avec un air timide. En jouant avec Morgana, vous êtes-vous revue en enfant-comédienne ?
Morgana était beaucoup plus jeune encore que moi lorsque j’ai commencé. Moi, à douze ans, je pouvais déjà être indépendante. Enfin, j’ai eu la chance de pouvoir être indépendante. Mes parents m’ont laissée aller sur des tournages sans avoir de gardien.
Et vous aimiez cette vie ?
J’adorais ça ! Au-delà du film lui-même, parce qu’à cette époque-là je m’en foutais un peu. C’était surtout pour ce que je vivais, avec une équipe, des airs de saltimbanque et une vie d’adulte… alors que j’avais douze ans. Ceci dit, sur L’Effrontée, je me rappelle de plaisir intense sur certaines scènes, mais c’était plus un défi d’avoir à prouver que je pouvais pleurer… Après, sur La Petite voleuse, il y avait plus de conscience et d’envie de faire ce métier.
Vous avez pu guider un peu Morgana, forte de cette expérience ?
Non, moi, je suis très intimidée par les enfants au cinéma. Il m’a fallu énormément de temps avec les quatre enfants avant de les apprivoiser et avant qu’ils m’apprivoisent aussi. Ce n’était pas du tout quelque chose d’instantané. Je suis très mauvaise pour les conseils. Il faut que ça se passe… ou que ça ne se passe pas. Mais à part d’être ouverte et le plus généreuse possible, je n’ai pas de méthode. J’ai entendu souvent des acteurs qui aident. Moi pas.
Au fond, vous n’êtes pas bien dans la peau d’une « professionnelle » aguerrie, non ?
A chaque fois que je commence un film, j’ai l’impression que c’est mon premier, que je ne vais pas savoir le faire. J’ai moi-même tellement de doutes que je ne vais pas me mettre à conseiller les autres. Ça me paraît tellement aléatoire… Je ne vois pas quels conseils on peut donner.
Vous ne vous sentez toujours pas légitime, dans ce métier, avec les réussites récentes et vos premiers pas sur la scène comme chanteuse ? La confiance ne vient pas ?
Je le pensais… et en fait, non ! Là, j’ai commencé un film avec Lars von Trier, et non, non, pas du tout, je ne me sens absolument pas plus sûre de moi, au contraire. Il suffit d’un rien pour me déstabiliser. Durant la promotion pour AntiChrist, je parlais tout le temps du fait d’être déstabilisée et finalement, c’est une méthode de travail qui me va. Je préfère quand il y a des choses qui paraissent imprévues et qui vous portent, plutôt que d’avoir tout calculé. Je trouve ça plus intéressant d’être à l’écoute.
Retrouver Lars von Trier, aujourd’hui, après « AntiChrist », ça démontre qu’il y a quelque chose de fort qui vous attire, dans cet univers…
Ah oui ! Je l’adore. Il a une personnalité, au-delà de ses films, qui me touche énormément. Alors, c’est pas facile de tourner avec lui. Ça n’a, ceci dit, pas besoin d’être facile. Il y a des jours où je suis très mal, des jours où je suis très heureuse. Il n’y a pas deux jours qui se ressemblent. C’est sans doute pour ça que ça me plaît autant. Et puis, c’est vrai qu’il a une méthode de travail que je n’ai rencontrée avec personne d’autre.
C’est quoi, la méthode Lars von Trier?
Il ne répète pas. On ne peut pas le questionner vraiment avant d’avoir fait une première prise. Il faut se jeter à l’eau pour une première prise, sans savoir si on va être ridicule, à côté de la plaque. Après, on a des indications. Aucune prise ne se ressemble, parce que ça ne l’intéresse pas. On va dans plein de directions possibles. La caméra n’est jamais à la même place. Il y a quelque chose de tellement mobile. Et de très enlevé. Et c’est vraiment lui qui est aux commandes. Il faut juste lui faire confiance.
« Melancholia » n’aura rien à voir avec « AntiChrist » ?
Rien ! Mais il y a toujours une idée de douleur, avec un personnage qui lui ressemble plus, joué par Kirsten Dunst. Proche de lui dans la dépression. Mais même en le faisant, ce film, on ne peut pas savoir ce qu’on est vraiment en train de faire.
Vous me parlez depuis le Danemark, hier vous étiez en Australie, puis auparavant en Italie, aux Etats-Unis… Comment vivez-vous cette vie de nomade ?
Là, j’ai besoin de m’arrêter un peu, en septembre, voire octobre, chez moi à Paris. Mais un tournage est plus calme qu’une tournée. Une tournée, on est dans l’excitation, on change de ville tous les jours. C’est très particulier. Et plus chaotique qu’un tournage.