Charlotte Gainsbourg sera l’invitée de « Hep Taxi » sur la RTBF, chaîne de télévision belge le 20 décembre. Extrait :
Retranscription écrite de l’interview de Charlotte Gainsbourg :
IRM, deuxième album ?
– CHARLOTTE : Bonjour. Je vais à la gare du Midi svp.
– JÉRÔME : Allons-y.
– JÉRÔME : C’est un joli cadeau de Noël de vous avoir là.
– CHARLOTTE : C’est gentil.
– JÉRÔME : Promotion, promotion.
– CHARLOTTE : Oui. Fin de journée promotion.
– JÉRÔME : Ca vous plait ?
– CHARLOTTE : Quoi ?
– JÉRÔME : De parler de ce que vous faites.
– CHARLOTTE : Non. Mais j’aime bien, parfois on rencontre des gens bien et puis c’est bien quand les interviews ne se ressemblent pas. Mais non on se fatigue soi-même à parler de soi tout le temps. C’est pas naturel hein.
– JÉRÔME : Non. En même temps c’est pas naturel de parler de soi et dans les disques on ne fait rien d’autre.
– CHARLOTTE : Oui mais c’est camouflé un peu… et puis on ne fait pas une explication de texte dans la vie, enfin dans les chansons.
– JÉRÔME : Vous connaissez Bruxelles ?
– CHARLOTTE : Alors non. Je suis venue de temps en temps mais c’était toujours un jour, ben comme là. J’ai très envie de connaître. Je veux revenir.
– JÉRÔME : IRM c’est pas très sexy comme nom d’album. Pourquoi vous n’avez pas pris, je ne sais pas, tumeur ou…
– CHARLOTTE : J’aurais pu…
– JÉRÔME : Lumbago.
– CHARLOTTE : C’est moins poétique. IRM il y a image à résonnance magnétique, c’est pas mal je trouve. Si je trouve ça très poétique. Il y a un côté clinique et cru et les images.
– JÉRÔME : Clinique et cru.
– CHARLOTTE : Oui. Mais il n’y a pas que ça justement. On peut voir le côté que clinique ou les images et la métaphore qui est belle.
– CHARLOTTE : C’est vous qui avez choisi tout ça ?
– JÉRÔME : C’est nous. Ben oui, c’est notre taxi. Il y a un peu beaucoup de bordel hein. Ca ressemble à chez moi.
– CHARLOTTE : Et alors, on est où ?
– JÉRÔME : Là maintenant on est à Ixelles.
– CHARLOTTE : Où ?
– JÉRÔME : A Ixelles. On va arriver sur la place Flagey. On est vers la place Flagey, les étangs de la place Flagey. Qui est une très belle place de Bruxelles.
– CHARLOTTE : Et vous avez un permis taxi ?
– JÉRÔME : Oui, c’était mon vrai boulot d’abord.
– CHARLOTTE : C’est vrai ?
– JÉRÔME : Oui.
– CHARLOTTE : Ah !
– JÉRÔME : Non, je rigole.
– CHARLOTTE : Merde.
– JÉRÔME : Mais oui on est tout à fait en ordre. Pas vous, vous n’avez pas votre ceinture.
– CHARLOTTE : Non…
– JÉRÔME : Il faut désobéir des fois.
– CHARLOTTE : Pour moi à l’arrière ça rentre pas trop… mais pour les enfants oui. En taxi c’est bizarre.
– JÉRÔME : C’est marrant, on pense à la sécurité de nos enfants mais pas à la nôtre, vous avez déjà remarqué ça ?
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : C’est con hein.
– CHARLOTTE : Oui c’est con.
Avec Beck, j’ai appris à revenir à la spontanéité.
– JÉRÔME : Pourquoi vous avez fait un deuxième album ? Parce que finalement faire un premier album c’est quelque chose mais c’est pas une évidence qu’il y en aura un qui suit. Qu’est-ce qui vous plait tant ?
– CHARLOTTE : Non c’est pas évident du tout. En fait c’est même un troisième parce qu’il y avait d’abord celui avec mon père. C’est venu, le troisième il est venu un peu naturellement, un peu aidée par la maison de disques qui m’a demandé ce que je voulais, vers qui je voulais aller, qui m’a un petit peu poussée quand même, parce que sinon j’enchaînais un peu les films et ce n’était pas forcément une nécessité et en même temps quand j’ai commencé à y pensé, oui j’avais vraiment envie de travailler avec Beck, c’était une vraie envie, je ne me suis pas forcée.
– JÉRÔME : En fait ce qui vous excite c’est plus de travailler avec des gens que de faire de la musique.
– CHARLOTTE : C’est de rencontrer…. C’est la collaboration, c’est de rencontrer, c’est toute l’aventure, là ça c’est déroulé en 1 an ½ . Et voilà, c’est les différentes étapes, la progression. Je suis quelqu’un de très lent alors j’aime quand ça prend du temps et j’aime bien aussi l’idée de rencontrer quelqu’un que j’admire, de découvrir sa méthode de travail, d’observer et d’apprendre aussi.
– JÉRÔME : Et vous avez appris quoi d’un garçon qui sait tout faire comme Beck ? Qui fait du blues avec du hip hop, qui fait un disque de folk acoustique, « Sea Change », absolument grandiose, qui s’amuse avec les platines, avec les guitares, avec tout. Vous avez appris quoi de ce genre de garçon ?
– CHARLOTTE : Alors je n’ai pas appris parce que je ne saurais pas faire comme il fait mais justement cette dextérité et la profusion de tout ce qu’il sait faire, tout ce qu’il amène… Mai s j’ai appris beaucoup de revenir à la spontanéité, enfin de revenir… de se servir de la spontanéité, de se servir des accidents, et que tout est bon à prendre. Avec lui tout est bon à prendre. Il en fait quelque chose.
– JÉRÔME : En même temps c’est marrant, dans la musique ou dans le cinéma on essaie que tout soit léché alors que dans la vie ce qu’il y a de plus excitant c’est justement les petits accidents.
– CHARLOTTE : Oui mais dans le cinéma c’est ça qu’on cherche. C’est qu’une scène ne sera jamais vivante si elle n’est pas faite de petits accidents, de choses qui vous échappent. C’est ça… même si tout est calculé, on sait ce qu’on va dire, on est constamment à essayer d’oublier justement ce qu’on doit dire et d’aller vers des imprévus.
Cela me gonfle qu’on me dise que j’ai une voix douce !
– JÉRÔME : Pourquoi votre musique est si douce ?
– CHARLOTTE : Oh je ne fais pas des musiques douces. L’album là ?
– JÉRÔME : Oui.
– CHARLOTTE : C’est pas doux.
– JÉRÔME : Il y a de la douceur. Plein de douceur non ?
– CHARLOTTE : Ah bon !
– JÉRÔME : Ah oui. Même s’il y a du rythme.
– CHARLOTTE : Oui c’est ça.
– JÉRÔME : C’est pas l’impression que vous avez ?
– CHARLOTTE : Non. Enfin oui il y a des morceaux comme « In the end » oui c’est plutôt très doux et mélodieux mais il y a d’autres titres où ce n’est pas la douceur qui me vient en tête.
– JÉRÔME : C’est ?
– CHARLOTTE : Il y a différentes énergies. Puis je trouve que c’était plus extérieur celui-là. J’étais plus volontaire. Ce n’est pas synonyme de douceur pour moi. C’est bien la douceur.
– JÉRÔME : Ah oui.
– CHARLOTTE : On me l’a trop dit aussi. Enfin là je sais que vous parliez de musique mais d’avoir une petite voix douce, on ne fait pas contre sa nature mais ça me gonfle un peu.
– JÉRÔME : C’est marrant parce que moi, même les chansons très rythmées qu’il peut y avoir je trouve qu’il y a toujours beaucoup de tendresse.
– CHARLOTTE : Ah oui ?
– JÉRÔME : Oui. En même temps c’est peut-être parce que c’est mon ressenti.
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : Peut-être que j’ai besoin de ça. On n’en sait rien mais c’est le ressenti que j’ai eu en tout cas. Il y a une chanson en français.
– CHARLOTTE : J’allais vous demander comment vous faites pour parler, être concentré et conduire en même temps.
– JÉRÔME : Comment on fait pour écrire des belles chansons ?
– CHARLOTTE : C’est pas moi qui les écris.
– JÉRÔME : Oui mais comment on fait pour les rendre belles ?
– CHARLOTTE : Non, on ne fait pas deux trucs en même temps.
– JÉRÔME : Si comment vous faites pour être maman, comédienne et chanteuse en même temps.
– CHARLOTTE : Je ne le fais pas en même temps justement. Je ne sais pas faire deux trucs en même temps. Il y a une priorité pour la famille évidemment, il y a un ordre des choses mais je ne sais pas me diviser.
– JÉRÔME : En même temps vous avez une vie bien remplie quand même.
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : Là vous savez ce que vous faites les mois prochains.
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : Ca vous rassure ou ça vous embête ? De savoir toujours ce qu’il va se passer.
– CHARLOTTE : J’ai pas toujours su puis il y a plein de moments où j’ai des trous. Justement quand on a envie de plus travailler, le travail ne vient pas puis quand on aimerait souffler on est embarqué dans beaucoup de choses et à un rythme effréné alors… ce n’est pas de l’insatisfaction permanente mais c’est vrai que je ne suis pas du tout en contrôle de ce qui m’arrive, je choisis, j’ai la chance de choisir.
– JÉRÔME : Quoi ? Je vous regarde, vous avez peur ? Qu’est-ce que j’ai fait ?
– CHARLOTTE : J’ai cru qu’il s’était passé un truc
– JÉRÔME : Non.
– CHARLOTTE : Non mais après ça c’est des hasards, c’est des projets qui arrivent tous en même temps et c’est comme ça que ça se passe.
Antichrist , un plaisir masochiste !
– JÉRÔME : Comment ça se fait que la jeune femme qui a une voix toute douce accepte « Antichrist » ?
– CHARLOTTE : Parce qu’à l’intérieur je ne suis pas toute douce. Parce que j’ai envie que de ça, aller vers des choses un peu extrême, de me brusquer aussi moi, ne pas rester dans des choses que je connais. Bon déjà à l’évidence c’était lui, c’était Lars Von Trier dont j’admire le travail, c’était très évident et après le côté très extrême du scénario, des scènes, c’est une chance je trouve, alors justement je me suis dit est-ce que ça n’arrive qu’une seule fois dans sa vie de pouvoir faire… que ce soit aussi poussé, aussi extrême, aussi intense et moi c’est tout ce que je souhaite. C’est vrai que c’est arrivé aussi à un moment où j’avais eu un accident, j’étais justement très immobile pendant 6 mois à être très obnubilée par mes propres soucis…
– JÉRÔME : De santé.
– CHARLOTTE : Physique, de santé. Et quand c’est arrivé c’était en fait une roue de secours de pouvoir plonger dans quelque chose de plus fort que moi, qui allait me prendre la tête et voilà me faire oublier aussi moi mes petits soucis du moment. Donc c’est arrivé au bon moment.
– JÉRÔME : Il y a des gens qui réagissent au doute par la joie. Vous, vous avez réagi au doute par le gouffre. Parce que c’est pas joyeux.
– CHARLOTTE : Pourquoi réagir au doute ?
– JÉRÔME : Quand on a des peurs. Quand on a des peurs et des angoisses sur son état de santé, vous aviez eu un accident. Il y a des gens qui peuvent réagir à ça en cherchant la joie. Vous avez réagi en plongeant dans le gouffre, c’est pas un film facile.
– CHARLOTTE : Oui mais j’ai voulu vers un truc extrême… En même temps ce n’était pas réfléchi parce que c’est un hasard qu’il soit venu vers moi à ce moment-là et que ça ait collé aussi. Je suis allée le rencontrer mais je n’étais pas sûre d’avoir le rôle. Tout ça était très accidentel et j’ai pas voulu… je n’ai pas eu envie de vivre un drame ou de faire ça de manière pénible, c’était très excitant. J’ai eu deux mois où j’avais l’autorisation d’être hystérique, de hurler, de pleurer. Tout était permis en fait.
– JÉRÔME : Ca fait du bien ?
– CHARLOTTE : Oui, je pense que ça fait du bien d’extérioriser les choses. Et justement d’aller contre sa nature parce que c’est vrai qu’à priori je suis plutôt calme…
– JÉRÔME : Oups, j’ai failli tuer les gens.
– CHARLOTTE : Donc ça m’amuse de surprendre aussi moi-même un peu, de me pousser. Et puis d’avoir quelqu’un en face de moi qui était tellement en demande et tellement intransigeant sur ce qu’il voulait… Oui c’était génial. Pour une fois… enfin ça permet de pousser un peu les barrières, de se lâcher aussi. Grâce à lui.
– JÉRÔME : C’est dingue parce que vous avez fait un film, vous avez été à l’intérieur d’un film, moi j’entends des dizaines de personnes dire « Antichrist », je ne veux pas le voir, je n’ose pas aller le voir.
– CHARLOTTE : Oui je sais.
– JÉRÔME : Et vous, vous l’avez fait. C’est quand même dingue.
– CHARLOTTE : C’est plus facile à faire qu’à voir, j’en sais rien. Je ne sais pas. Moi j’ai eu beaucoup de plaisir… mais un plaisir masochiste aussi hein.
– JÉRÔME : J’imagine.
– CHARLOTTE : A me faire du mal un peu, oui à rester enfermée dans cette histoire et dans ce climat là en particulier.
– JÉRÔME : Qu’est-ce qui fait que dans la vie à un moment on s’autorise à dire je me suis fait un plaisir masochiste, j’ai cherché ça. Qu’est-ce qui fait qu’à un moment dans la vie on assume ça.
– CHARLOTTE : Je n’ai pas du tout de problème à dire que je cherche à me faire du mal, je pense que c’est très humain. Donc ce n’est pas à un moment donné de ma vie où ce n’était pas conscient, ce n’était pas prévu. C’est arrivé comme ça, je n’ai pas vraiment réfléchi non plus à pourquoi j’en avais envie. Moi je fais des choses de manière très irréfléchie, j’aime bien rester très naïve, pas faire trop attention. Je n’analyse pas grand-chose en fait.
– JÉRÔME : C’est vrai ?
– CHARLOTTE : On me force à analyser, en faisant des interviews on force à réfléchir à pourquoi on a fait telle ou telle chose.
– JÉRÔME : Ca c’est le Palais de justice de Bruxelles. Là.
– CHARLOTTE : Où ça ?
– JÉRÔME : Il est en travaux parce que notre justice aussi est en travaux je crois. C’est un très beau bâtiment.
– CHARLOTTE : Vous avez aussi des Vélybes.
– JÉRÔME : Oui.
– CHARLOTTE : Peut-être que vous étiez les premiers alors.
– JÉRÔME : Il y en a eu il y a assez longtemps à Bruxelles mais ils étaient très lourds, très peu pratiques, ça n’a pas vraiment fonctionné et puis avec ceux-ci c’est parti, ça fonctionne bien. Belle invention hein. Vous habitez dans Paris ?
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : Là il y a le Conservatoire de Musique de Bruxelles. L’Eglise du Sablon qui est là avec la très belle place du Sablon. Vous ne connaissez pas ça ?
– CHARLOTTE : Non.
– JÉRÔME : Oh, on peut faire le tour de la Place du Sablon ou pas ? Non. C’est super joli.
J’ai un complexe d’infériorité !
– CHARLOTTE : D’accord. Je mange un chewing gum à la nicotine parce que j’en ai besoin.
– JÉRÔME : Vous avez arrêté de fumer ?
– CHARLOTTE : Oui. 1 mois. Enfin j’ai fait plein de tentatives, ce n’est pas la première.
– JÉRÔME : Ca dépend, oui de temps en temps. Là c’est plutôt ciblé, je ne sais pas si vous avez vu.
– CHARLOTTE : Je crois.
– JÉRÔME : Egon Schiele. J’ai un bouquin d’Egon Schiele. Vous aimez Egon Schiele ou pas ?
– CHARLOTTE : Oui. Beaucoup.
– JÉRÔME : Ca ne m’étonne pas. Qu’est-ce que vous aimez ?
– CHARLOTTE : Chez lui ?
– JÉRÔME : Oui.
– CHARLOTTE : Un peu la difformité. Et le côté cru des corps. J’aime bien oui.
– JÉRÔME : C’est splendide hein.
– CHARLOTTE : Mais j’ai jamais vu en vrai.
– JÉRÔME : Moi non plus, je ne pense pas. Vous êtes une grande consommatrice culturelle ?
– CHARLOTTE : Non.
– JÉRÔME : Vous lisez beaucoup, vous écoutez beaucoup de musique…
– CHARLOTTE : J’essaie de lire…. Et puis je me sens toujours à devoir tout apprendre en fait, j’ai l’impression que je ne sais rien, que je n’ai jamais été à l’école, et pourtant j’ai eu mon Bac et tout mais je ne me souviens de rien. C’est vrai. Donc j’ai tout le temps un complexe d’infériorité dès qu’il s’agit de culture, pas seulement de culture d’ailleurs, de tout. Je me suis dite que j’avais tout mon temps pour retourner en fac et en fait ma sœur m’a dit que c’était fini, qu’après un certain âge on ne vous accepte plus.
– JÉRÔME : Oh ! Vous savez qu’en Belgique il y a l’université des 3 x 20.
– CHARLOTTE : Oh c’est gai.
– JÉRÔME : Il faut attendre un peu mais c’est super. Ah non, c’est super. Ca marche super bien, c’est des gens qui sont pensionnés, ils peuvent retourner à l’unif. Donc des gens qui ont dû bosser vachement tôt parce qu’à l’époque on devait bosser vachement tôt, ils ont l’occasion d’aller apprendre, je trouve ça super beau.
– CHARLOTTE : C’est génial mais ce serait bien de faire un peu un mélange, ne pas se retrouver qu’entre vieux quoi.
– JÉRÔME : C’est vrai. Vous feriez quoi si vous retourniez en fac. Vous étudieriez quoi ?
– CHARLOTTE : L’Histoire de l’Art.
– JÉRÔME : C’est passionnant.
– CHARLOTTE : Et puis après l’histoire en général.
– JÉRÔME : Ah oui ?
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : C’est vrai que c’est un sujet qui ne nous passionne pas du tout quand on est gamin, quand on va à l’école et puis qu’on a envie d’apprendre quand on est un peu plus grand. L’histoire.
– CHARLOTTE : Oui je pense qu’on ne tombe pas forcément sur les bons profs.
L’école était un refuge !
– JÉRÔME : Vous avez de bons souvenirs d’école ?
– CHARLOTTE : J’ai adoré l’école. J’ai adoré parce que c’était un refuge, c’était ce qui me ramenait à la normalité. C’est vrai que je faisais les tournages l’été et puis je retournais à l’école en septembre. Je changeais tous les ans d’école donc je n’avais jamais d’attaches, j’avais des amis mais que je gardais pendant 1 an puis après on se perdait de vue. C’était moi qui était en demande de changer tout le temps mais…
– JÉRÔME : Vous demandiez de changer d’école chaque année ?
– CHARLOTTE : Oui, je ne me faisais pas virer du tout, j’étais plutôt très sage, discrète, on ne me remarquait pas…
– JÉRÔME : Pourquoi vous demandiez de changer d’école chaque année ?
– CHARLOTTE : Parce que dans une école je pouvais commencer le russe, après j’ai voulu faire, qu’est-ce que je voulais faire, j’ai voulu aller en pension…
– JÉRÔME : Vous avez voulu aller en pension !
– CHARLOTTE : Oui. 1 an seulement. C’était à 13 ans.
– JÉRÔME : Pourquoi ?
– CHARLOTTE : Parce que je pense que je fantasmais sur la pension, parce que ma mère avait été en pension, ma belle-mère avait été en pension, et ça avait été des cauchemars pour elles, mais j’avais envie sans doute de m’éloigner, d’être loin de ma famille, peut-être hein, je ne me souviens pas de ce que j’avais vraiment en tête, mais c’était un cadre, j’avais envie de règles, de discipline…
– JÉRÔME : C’est dingue parce que vous aviez la liberté, entre guillemets, beaucoup de liberté, ce dont tout le monde rêve mais quand on l’a, on remarque que ça ne fonctionne pas comme ça, c’est ça ?
– CHARLOTTE : Ben je pense que j’avais envie d’être plus cadrée…
– JÉRÔME : A 13 ans vous vous êtes dit il faudrait peut-être que je sois un peu cadrée.
– CHARLOTTE : Non mais je pense que j’ai voulu prendre du large. 1 an seulement. Puis c’était un peu une prison dorée, j’étais en Suisse, je faisais du ski, ce n’est pas Dickens. Mais après je n’y suis pas retournée. J’ai tenté à nouveau, je ne sais pas, à 16 ans, j’ai fait des pieds et des mains pour retrouver une autre pension, cette fois-ci en banlieue parisienne, j’ai tenu je crois 1 semaine et je me suis échappée. J’étais trop vieille, ça ne marchait plus.
Mes souvenirs d’enfance et mes enfants
– CHARLOTTE : Ah la vache, il y a plein de trucs russes là.
– JÉRÔME : Vous avez vu ?
– CHARLOTTE : Ca a l’air dégueulasse.
– JÉRÔME : Ca a l’air dégueu la cuisine russe. Vous savez cuisiner russe vous ?
– CHARLOTTE : Non ma grand-mère cuisinait russe, on allait chez elle tous les dimanches, donc j’ai essayé de faire un peu ce qu’elle faisait. Oui, bon, une fois hachée, c’est plus la cuisine juive russe. Bon, le borchtch.
– JÉRÔME : J’arrive
– CHARLOTTE : Qu’est-ce que vous faites ?
– JÉRÔME : Regardez, c’est magnifique.
– CHARLOTTE : Quoi ?
– JÉRÔME : C’est un magnifique fleuriste.
– CHARLOTTE : Oui ça a l’air vachement bien.
– JÉRÔME : J’arrive. Vous voulez rentrer ?
– CHARLOTTE : Où ?
– JÉRÔME : Là.
– CHARLOTTE : Pourquoi faire ? Non.
– JÉRÔME : Non ? J’arrive.
– JÉRÔME : Voilà, c’est une tradition dans cette émission on offre des fleurs à nos hôtes féminines.
– CHARLOTTE : C’est vrai ? C’est gentil.
– JÉRÔME : Voilà je vous offre des fleurs.
– CHARLOTTE : Elles sont belles, merci.
– JÉRÔME : J’espère. On essaie de ne pas perdre les traditions.
– CHARLOTTE : C’est vachement gentil.
– JÉRÔME : Ne les jetez pas dans la poubelle à la gare du Midi hein !
– CHARLOTTE : Non.
– JÉRÔME : Vous avez des bons souvenirs d’enfance ?
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : Plein.
– CHARLOTTE : Plein.
– JÉRÔME : C’est rassurant parce que quand on vous voyait c’était triste des fois.
– CHARLOTTE : Ah mais c’est parce que ce n’était pas naturel de faire des interviews à mon âge. Quand on me posait des questions qui m’embarrassaient, j’étais complexée aussi. Ca me demandait beaucoup d’efforts et je ne voulais pas faire d’effort donc je tirais la gueule…
– JÉRÔME : Vous étiez sale gosse ?
– CHARLOTTE : Ah oui je faisais la gueule très facilement. J’étais à la fois, enfin, j’étais très difficile, j’étais très colérique toute petite, très colérique oui, j’avais un caractère de chiotte et après en fait je me suis renfermée, mais vraiment renfermée donc je pouvais faire la gueule pendant des heures. C’était très chiant à vivre pour les autres.
– JÉRÔME : J’imagine. Ceci dit pour vous aussi j’imagine.
– CHARLOTTE : C’est un cauchemar. Mais bon.
– JÉRÔME : Quand est-ce que la vie s’est ouverte ?
– CHARLOTTE : Avec mon premier enfant.
– JÉRÔME : Ah oui ?
– CHARLOTTE : A partir de là, les enfants…
– JÉRÔME : Ah oui.
– CHARLOTTE : Non mais j’ai eu une très belle enfance à mes yeux. Après ça je pense que justement j’ai gardé que les bons souvenirs et que j’ai effacé tous les mauvais.
– JÉRÔME : On est bien fait quand même.
– CHARLOTTE : J’ai une mémoire très sélective puis après mon père est mort, quand j’étais jeune quand même, j’avais 19 ans et là bon tout s’est effondré pendant très longtemps. Jusqu’à mon fils. Je vais enlever mon chewing gum, c’est moche.
– JÉRÔME : Ca c’est vous qui jugez.
– CHARLOTTE : Je peux arracher un bout de papier ?
– JÉRÔME : Vous arrachez tout ce que vous voulez.
– JÉRÔME : Et vos enfants ils sont colériques comme vous ? Vous avez ce que vous avez mérité ?
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : Moi aussi.
– CHARLOTTE : Pas les deux.
– JÉRÔME : Et oui. Les chiens ne font pas des chats. Ca c’est clair.
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : Vous tenez de qui vous ? De votre père ou de votre mère ?
– CHARLOTTE : En caractère ?
– JÉRÔME : Oui.
– CHARLOTTE : Heu… Oh lala. En caractère… Non je crois plus de mon père mais… non je ne sais pas.
Le poids du père on s’y fait ?
– JÉRÔME : Le poids du père on s’y fait ?
– CHARLOTTE : Non.
– JÉRÔME : Quand c’est Serge Gainsbourg.
– CHARLOTTE : Ben c’est naturel. Mais non, enfin je ne m’y fait pas parce que c’est tout le temps une référence. A la fois pour moi c’est une référence mais pour les autres aussi donc …
– JÉRÔME : C’est pas juste votre papa à vous.
– CHARLOTTE : Non. C’est pour ça que parfois… Enfin y’a longtemps je… quand j’ai commencé justement je ne voulais pas parler de mes parents, c’était, voilà c’était déjà assez chiant pour moi d’avoir à parler des films mais quand en plus tout tournait autour de mes parents, comment ils m’avaient éduquée, voilà, quel genre de père c’était, ça m’ennuyait vraiment beaucoup et j’avais l’impression de ne pas pouvoir garder de secrets. Je ne répondais pas, je n’étais pas très sympathique, et puis petit à petit je me suis un peu détendue par rapport à ça, je comprends que les gens demandent… Enfin si je rencontrais quelqu’un dont j’ai admiré les parents je pense que c’est naturel de poser des questions et donc même si ça me posait quand même des problèmes j’étais plus docile.
Je ne pense pas que je suis une artiste
– JÉRÔME : Et vous réalisez que vous, vous êtes aussi en train de réaliser quelque chose de fort, de personnel ? Des disques, des films… Une œuvre, ce qu’on appelle une œuvre.
– CHARLOTTE : Non une œuvre.
– JÉRÔME : C’est ce qu’on appelle une œuvre quand on est un artiste non ?
– CHARLOTTE : Je ne crois pas… alors ce n’est pas de la modestie mais je ne pense pas que je sois une artiste.
– JÉRÔME : C’est vrai ?
– CHARLOTTE : Je ne sors pas mes tripes. Je ne suis pas à la base de l’écriture, des projets, j’aime en fait trouver une liberté à l’intérieur des contraintes, à l’intérieur de ce qu’on m’impose. C’est pour ça que j’aime autant la mise en scène des autres, c’est des exercices qui me plaisent mais voilà je les prends comme des exercices. D’ailleurs j’aime bien m’occuper la tête, ne pas avoir trop de liberté alors que je pense qu’un artiste a besoin de liberté.
– JÉRÔME : C’est marrant, vous dites moi je ne mets pas mes tripes… en même temps, « Antichrist » si c’est pas ça je ne vois pas ce que c’est.
– CHARLOTTE : Oui mais c’est juste un grand laisser-aller. Et puis c’est beaucoup d’impudeur à un moment donné. Mais ce n’est pas… Je ne sais pas. Non, ah non quand je vois le film c’est le film d’un artiste, oui, lui c’est un vrai artiste, il a une vision…
– JÉRÔME : Pourquoi sous-estimer ce qu’on fait ?
– CHARLOTTE : Mais parce que je me rends bien compte quand on est acteur… alors il y a une part d’émotion, on fait passer des choses, je ne dénigre pas ça mais je ne pense pas que ce soit à la mesure d’un auteur, d’un peintre, je ne pense pas que ce soit pareil. Puis on a besoin des autres alors que pour moi un artiste n’a pas besoin des autres. Enfin un metteur en scène a aussi besoin d’une équipe et d’acteurs justement mais je ne sais pas…
Moi, je suis très gentille et je trouve ça très ennuyeux !
– JÉRÔME : Vous voyez dans le petit sapin il y a des petits bouts de papier. Vous les voyez ? Vous pouvez en prendre un si vous voulez.
– CHARLOTTE : Ah il y a des trucs marqués dedans.
– JÉRÔME : Oui. Je ne sais pas ce que c’est hein donc ne me tombez pas dessus.
– CHARLOTTE : C’est vrai ? « La timidité est une forme de politesse », Jacques Dutronc. Ah bon ?
– JÉRÔME : Vous trouvez que la timidité est une forme de politesse, vous ?
– CHARLOTTE : Oui, bien sûr.
– JÉRÔME : Vous n’aimez pas les gens qui arrivent et qui font ouais, j’suis chez moi…
– CHARLOTTE : J’aime bien les personnalités plus fortes. Très souvent je préfère des gens qui ont un tempérament, qui ont une force comme ça, parce que justement oui c’est très lié la timidité et la politesse et je trouve que ce n’est pas… c’est lassant d’être poli en fait.
– JÉRÔME : C’est gentil.
– CHARLOTTE : Oui c’est gentil.
– JÉRÔME : C’est chiant hein.
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : A fond. C’est comme la musique. La musique des fois aujourd’hui sur les radios, elle est trop gentille. Avant elle devait quand même un peu faire mal, faire peur aux parents… Maintenant c’est toujours un peu gentil. C’est ce qui m’a fasciné chez Beck par exemple. Je me souviens quand j’ai écouté ses premiers disques ça a été un choc.
– CHARLOTTE : Non je ne trouve pas que la musique soit gentille. Non je ne trouve pas qu’on vit dans une époque de gentillesse, pas du tout. Enfin, je ne sais pas, même ce qu’est devenue la télé, c’est loin d’être gentil.
– JÉRÔME : C’est sûr.
– CHARLOTTE : Ce qui intéresse les gens… Mais bon, en tout cas, comme personnalité la gentillesse c’est très bien, moi je suis très gentille et je trouve ça très ennuyeux.
– JÉRÔME : Autre petit bout de papier.
– CHARLOTTE : « C’est formidable le cinéma, on voit des filles avec des robes, le cinéma arrive et on voit leur cul », Jean-Luc Godard.
– JÉRÔME : Vous aimez bien Godard ?
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : Et ce qu’il dit ?
– CHARLOTTE : Ben là…
– JÉRÔME : On lance en arrière alors, c’est nul vous lancez le papier en arrière. Hop là. Autre papier.
« Rendre l’âme d’accord mais à qui ? »
– CHARLOTTE : « Rendre l’âme d’accord, mais à qui ? », c’est mon père.
– JÉRÔME : « Rendre l’âme d’accord mais à qui ? », c’est fantastique hein.
– CHARLOTTE : Oui c’est super.
– JÉRÔME : Il a dit ça quand et à qui ?
– CHARLOTTE : Je ne sais pas, aucune idée.
– JÉRÔME : Vous connaissiez cette phrase ?
– CHARLOTTE : Non.
– JÉRÔME : « Rendre l’âme d’accord, mais à qui ? ». Vous croyez en Dieu vous ?
– CHARLOTTE : Non.
– JÉRÔME : Non ?
– CHARLOTTE : J’ai cru, enfin, j’ai eu une époque un peu mystique, enfin à 14 ans, 14, 15 ans, j’ai été très attirée par la religion juive, ce côté-là de ma famille, puis après ça s’est arrêté, enfin ça s’est arrêté… je n’avais pas vraiment une croyance mais j’étais très attirée par les traditions.
– JÉRÔME : Les rites.
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : Ah oui. Je comprends.
– CHARLOTTE : Encore, c’est un cadre…
– JÉRÔME : Une fois de plus.
– CHARLOTTE : Oui. C’est rassurant. Mais je n’avais pas du tout une éducation religieuse.
– JÉRÔME : Il n’en reste plus qu’une je crois.
« A l’avenir, laisse venir… l’imprudence »
– CHARLOTTE : Oui. « A l’avenir, laisse venir, laisse le vent du soir décider, laisse venir l’imprudence », c’est Bashung.
– JÉRÔME : Une fantastique chanson. Vous connaissez cette chanson, « L’imprudence » ?
– CHARLOTTE : Je crois oui.
– JÉRÔME : « Laisse venir l’imprudence ». Ca vous parle ça ?
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : Moi aussi.
– CHARLOTTE : J’aime bien les accidents.
– JÉRÔME : Vous êtes imprudente ?
– CHARLOTTE : Il fait chaud !
– JÉRÔME : Il fait chaud oui je sais, je règle ça tout de suite.
– CHARLOTTE : Merci.
– JÉRÔME : Vous êtes imprudente vous ?
– CHARLOTTE : Oui, j’ai fait un accident à cause de mon imprudence, enfin j’ai eu un accident de ski nautique et un accident de ski snowboard, j’ai été très imprudente oui, c’était des accidents très cons, mais j’aime bien ne pas faire attention et j’aime bien ne pas me méfier…
– JÉRÔME : Mais vous savez que c’est dangereux.
– CHARLOTTE : Pour l’instant je touche du bois mais ça n’a jamais été dangereux pour moi.
– JÉRÔME : C’est surtout excitant et c’est pour ça qu’on vit. Non ?
– CHARLOTTE : Oui. Oui. J’aime bien faire confiance. Ca me plait.
– JÉRÔME : Vous aimez bien Bashung ?
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : C’est quelqu’un qui dans la musique vous touchait ?
– CHARLOTTE : Oui, beaucoup. Et puis j’ai eu la chance de travailler avec lui sur un film.
– JÉRÔME : Qui était ?
– CHARLOTTE : C’est un film qui s’appelait « Félix et Lola » de Patrice Leconte, c’était un peu raté. Mais voilà moi j’ai rencontré Bashung et j’ai pu travailler avec lui. Après je l’ai perdu de vue. Mais oui je l’admirais beaucoup.
– JÉRÔME : « Et faites hennir les chevaux du plaisir ».
– CHARLOTTE : C’est de lui ?
– JÉRÔME : Dans « Osez Joséphine », oui.
– CHARLOTTE : Ah oui !
– JÉRÔME : C’est fantastique hein. Je l’ai vu en concert, il y a peu de temps finalement, je pense 3 mois avant qu’il décède et à la fin du concert il a tendu ses bras vers les gens et je ne sais pas si vous avez vu sa dernière tournée…
– CHARLOTTE : Non.
– JÉRÔME : Il n’y avait vraiment plus que ses mains qui dansaient, c’était troublant. Il a tendu ses mains vers le public et il a dit « que ne dure que les moments doux ». Une autre parole de « Osez Joséphine » et c’est un moment qui me restera tout ma vie. J’ai pris ça comme un conseil. En plein crâne. C’était émouvant.
– CHARLOTTE : C’était où ? Ici ?
– JÉRÔME : En Belgique, un concert en Belgique. C’était dingue.
J’ai travaillé avec mon père, avec mon oncle, avec ma mère, avec Yvan…
– JÉRÔME : Vous allez faire de la scène ?
– CHARLOTTE : Je vais essayer oui. Non mais parce que comme je ne l’ai jamais fait je ne peux pas prévoir et savoir ce que ça va donner alors j’y vais vraiment en prenant des gants.
– JÉRÔME : C’est quelque chose qui vous attire ?
– CHARLOTTE : Oui. Oui parce que j’ai vu assez de gens autour de moi le faire et avoir tellement de plaisir, en même temps une trouille mélangée à du plaisir, que j’ai, oui j’ai envie d’essayer moi aussi. Puis en faisant des répétitions avec un groupe là, récemment, c’était très agréable. J’espère juste, c’est mon gros problème, c’est d’être paralysée de trac, et c’est un truc qui ne passe pas trop en concert.
– JÉRÔME : Ca passe ça non ?
– CHARLOTTE : Je ne sais pas. Le trac c’est très imprévisible. On pense qu’on est libéré à un moment donné, on se détend et puis ça vous gagne, c’est une vraie maladie. C’est dommage…
– JÉRÔME : Au cinéma vous avez peur par exemple ?
– CHARLOTTE : Oui. Ca m’arrive.
– JÉRÔME : Quand vous étiez petite par exemple, à « L’effrontée » ou à « La petite voleuse », vous aviez peur de faire du cinéma.
– CHARLOTTE : Je pense que j’avais moins le trac. Je pense que j’étais moins consciente de moi-même, de réussir ou pas réussir, je crois que je m’en foutais plus, que c’était, je ne sais pas, j’étais plus libre enfant.
– JÉRÔME : On arrive à la gare du Midi.
– CHARLOTTE : Ah oui.
– JÉRÔME : Bientôt retrouver la famille, c’est bien ça. Vous aimez travailler en famille ? Parce que vous travaillez avec votre mari.
– CHARLOTTE : Oui. J’aime beaucoup. Alors c’est différent. J’ai travaillé avec mon père, j’ai travaillé avec mon oncle, j’ai travaillé avec mon beau-père, un tout petit peu avec ma mère…
– JÉRÔME : Avec votre père vous avez fait « Charlotte : for ever ». Avec votre oncle…
– CHARLOTTE : J’ai fait un film qui s’appelait « Le jardin de ciment».
– JÉRÔME : Exact. Avec votre mère ?
– CHARLOTTE : Ma mère j’ai fait un tout petit film, que je n’ai même pas vu, qui s’appelait « Kung Fu Master ». D’Agnès Varda. Avec mon beau-père j’ai fait un film qui s’appelait « Amoureuse », avec Yvan aussi. Avec Yvan j’ai fait plein de film comme actrice-acteur, et puis on en a fait deux où il était réalisateur.
– JÉRÔME : Voilà. Donc « Ma femme est une actrice » et « Ils se marièrent ».
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : Ca vous plait ça ?
– CHARLOTTE : Oui parce que c’est très intense. Forcément on ramène le travail chez nous, tout est mélangé…
– JÉRÔME : Oui c’est ça, c’est mille fois plus de raisons de s’engueuler, travailler ensemble.
– CHARLOTTE : Oui. Mais c’est bien. Ca rend vivant. Puis on a une complicité que ne peut pas avoir avec quelqu’un d’autre. Il sait tout de moi. Donc c’est intéressant.
– JÉRÔME : En plus ils sont bien ses films.
– CHARLOTTE : Oui. Et puis quand on ne travaille pas ensemble on est quand même séparé.
– JÉRÔME : Longtemps. On dit que ça entretient l’amour, mais bon.
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : C’est dur hein. Ca vous plait les séparations ? Vous prenez ça comme un moteur ?
– CHARLOTTE : Ca dépend. Parfois il y en a trop. Parfois c’est… Oui, trop long. Mais ça met du piment un peu, c’est vrai.
– JÉRÔME : Bien sûr.
– CHARLOTTE : Après ça j’espère que je vais me taire pendant au moins 5 heures. C’est horrible de s’entendre parler tout le temps.
– JÉRÔME : C’est marrant je suis taiseux aussi moi.
– CHARLOTTE : Quoi ?
– JÉRÔME : Je suis taiseux aussi.
– CHARLOTTE : Ah oui ? On dit taiseux ?
– JÉRÔME : Taiseux. Oui, je pense.
– CHARLOTTE : C’est-à-dire silencieux.
– JÉRÔME : Qu’on se tait tout le temps, qu’on ne parle pas.
– CHARLOTTE : Ah oui.
– JÉRÔME : Taiseux. C’est un belgicisme ?
– CHARLOTTE : Je pense.
– JÉRÔME : Possible. Ecoutez, prenez le il est très beau. Je suis taiseux. Vous connaissez ça ?
– CHARLOTTE : Quoi ? Les œufs de saumon ?
– JÉRÔME : Ca c’est des bonbons russes, bien sûr.
– CHARLOTTE : Oui je vois que c’est russe.
– JÉRÔME : Vous parlez un peu ?
– CHARLOTTE : Non.
– JÉRÔME : Pas du tout.
– CHARLOTTE : Mais je savais lirel’écriture cyrillique maintenant je ne sais plus.
– JÉRÔME : Si vous voulez faire goûter des bonbons russes à vos enfants, vous pouvez les prendre, je vous les offre.
– CHARLOTTE : C’est vrai ?
– JÉRÔME : Comme vous avez deux enfants, il y en a deux.
– CHARLOTTE : Ca date d’il y a 10 ans. Ca date de quand ?
– JÉRÔME : Je ne sais pas je les ai acheté il y a 10 ans. Non, je rigole. Non, cette semaine, hier.
– CHARLOTTE : Mais où ça se trouve ?
– JÉRÔME : Dans un magasin russe. A Bruxelles.
– CHARLOTTE : Merci, c’est bien gentil.
– JÉRÔME : Avec plaisir. Vous leur direz je suis allée en Belgique, je vous ramène du chocolat russe.
– CHARLOTTE : C’est du chocolat ?
– JÉRÔME : Je ne sais pas. Je pense que c’est des bonbons, je ne sais pas exactement. Mais c’est des bonbons pour les enfants.
– CHARLOTTE : Vous avez des enfants alors ?
– JÉRÔME : Oui.
– CHARLOTTE : Combien ?
– JÉRÔME : 3.
– CHARLOTTE : Et ils ont quel âge ?
– JÉRÔME : 9, 7, 5.
– CHARLOTTE : Ah oui.
– JÉRÔME : Oui. Ca sauve. C’était aussi le début de quelque chose d’autre.
– CHARLOTTE : Ah oui ?
– JÉRÔME : Oui.
Depuis que j’ai des enfants, j’ai peur de la mort !
– CHARLOTTE : Et… vous avez peur de la mort ?
– JÉRÔME : Arrêtez de me demander ça svp.
– CHARLOTTE : Pourquoi ?
– JÉRÔME : Je suis terrifié par ça.
– CHARLOTTE : C’est bien il faut en parler plus je trouve.
– JÉRÔME : Pourquoi vous me demandez ça ?
– CHARLOTTE : Parce que moi j’ai très peur alors qu’avant je ne pensais pas avoir peur. Je pensais que j’étais plus forte que tout le monde.
– JÉRÔME : Et vous pensez que c’est depuis que vous avez des enfants ?
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : Bon. Moi aussi. Je pense que c’est depuis que j’ai des enfants. Mais c’est quelque chose qui me terrifie profondément. C’est-à-dire que je me soigne. Contre ça. Tellement j’ai peur. Oui, absolument.
– CHARLOTTE : On devrait se serrer les coudes plus. Si on en parlait plus ce serait mieux.
– JÉRÔME : C’est tabou hein.
– CHARLOTTE : On n’en parle pas beaucoup de la peur de la mort..
– JÉRÔME : Dans notre culture non.
– CHARLOTTE : Oui c’est vrai, dans notre culture.
– JÉRÔME : Dans notre culture non donc moi j’ai vachement lu des bouquins d’autres cultures qui en parlent avec plus d’ouverture. Par exemple « Le livre tibétain des morts », il y a « Le livre tibétain des morts », un truc qui existe où ils parlent de ça de manière ouverte. Ca fait beaucoup de bien. C’est dingue que vous me demandiez ça.
– CHARLOTTE : Non mais avant, c’est vrai, j’ai pas vécu ça du tout, mais on vivait un deuil, on le montrait, ça faisait partie … Maintenant on cache tout.
– JÉRÔME : Même les deuils. On ne s’habille plus en noir.
– CHARLOTTE : Non. On ne met plus le bandeau là.
– JÉRÔME : Qu’est-ce qui vous terrifie ? De mourir ou de ne plus pouvoir vivre ? Deux choses différentes.
– CHARLOTTE : De ne plus pouvoir vivre.
– JÉRÔME : Moi aussi.
– CHARLOTTE : C’est pas l’épreuve qui me fait peur.
– JÉRÔME : C’est assez marrant parce que c’est une réflexion que j’ai quand même beaucoup, et je me disais est-ce qu’il y a certaines personnes qui ont plus peur de mourir que d’autres tout simplement parce qu’ils trouvent que la vie est plus belle. Jouir. Moi je m’émerveille et je jouis de manière… j’adore ça, je profite.
– CHARLOTTE : Moi j’ai pas… je ne suis pas assez philosophe pour ça mais…
– JÉRÔME : Qu’est-ce qui vous fait peur vous alors ?
– CHARLOTTE : C’est juste que ça s’arrête. Juste ça, ça s’arrête. Ca me dépasse.
– JÉRÔME : C’est pas envisageable hein. Le truc c’est comment faire maintenant pour ne plus y penser. Comment faire machine arrière. Et redevenir la personne qui n’était pas angoissée par ça. Parce que c’est con en même temps.
– CHARLOTTE : Mais je pense que plus on vieillit, donc plus on se rapproche, moi j’ai croisé beaucoup de gens qui avaient de plus en plus peur.
– JÉRÔME : C’est vrai ?
– CHARLOTTE : Alors que je pensais qu’on devenait très sage.
– JÉRÔME : Moi aussi. Que la peur c’était quand on était petit.
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : On s’était bien planté. Pour le coup. C’est aussi je pense avec les enfants parce que on doit être là aussi. Je ne pense pas que ce soit égoïste.
– CHARLOTTE : Oui et puis quand on vit la mort d’un parent et bien on n’a pas envie qu’ils aient cette épreuve-là.
– JÉRÔME : Vous avez fait la paix avec ça ? Avec la mort de votre père ?
– CHARLOTTE : Non. Je ne m’en remets pas du tout.
– JÉRÔME : C’est vrai ? Moi non plus. Je l’ai vécu aussi et c’est terrible.
– CHARLOTTE : Ca ne marche pas.
– JÉRÔME : Vous avez envie de faire la paix avec ça ? Parce que moi des fois je me dis mais en fait je n’ai pas envie de faire la paix avec ça parce que tant que je reste triste et en colère, il est là.
– CHARLOTTE : Oui mais non moi c’est le manque.
– JÉRÔME : On se marre bien avec vous.
– CHARLOTTE : Oui. C’est gai. Je cherche, je cherche des trucs.
– JÉRÔME : Ca va, c’était le sujet le plus primordial de notre existence. Ceci dit, dans ce bouquin il y a un je ne sais pas quoi, Chinois, qui dit « L’homme nait intelligent mais plus il grandit plus il devient stupide puisque plus il grandit, plus il a peur de la mort et il oublie de vivre ». Ce type visiblement était loin d’être un con.
– CHARLOTTE : Alors ça c’est quoi ?
– JÉRÔME : Ca s’appelle, je l’ai su… C’est du poisson. Je ne sais plus comment ça s’appelle mais c’est du poisson.
– CHARLOTTE : Sprotten in oil.
– JÉRÔME : Si j’étais vous, je ne le prendrais pas.
– CHARLOTTE : Non.
La maison de Verneuil, je l’ai achetée…
– JÉRÔME : C’est quoi le film que vous avez fait que vous préférez ? Votre film préféré, dans lequel vous avez joué ?
– CHARLOTTE : Le film là de Lars Von Trier. Mais je ne revois pas non plus mes films. Je ne les revois pas d’ailleurs, c’est un souvenir de ce que j’ai vu mais c’était quand même un peu marquant quand même.
– JÉRÔME : Vous avez des grands souvenirs de lecture ?
– CHARLOTTE : Ah oui.
– JÉRÔME : Par exemple ?
– CHARLOTTE : Mais alors très jeune.
– JÉRÔME : C’est vrai ?
– CHARLOTTE : Oui. Quand j’ai découvert Michaux, Henri Michaux, mais j’avais 16…
– JÉRÔME : Mais enfin ! C’est compliqué.
– CHARLOTTE : Oui mais moi ça me faisait vraiment rêver.
– JÉRÔME : Ah oui ?
– CHARLOTTE : J’aimais beaucoup ça. Et puis les grandes lectures genre Dostoïevski, Dickens… C’est très classique. Enfin, c’est des goûts très classiques. – Je peux ouvrir la fenêtre ?
– JÉRÔME : Bien sûr. Vous faites ce que vous voulez. En fait c’est là, depuis tout à l’heure.
– CHARLOTTE : Où ça ?
– JÉRÔME : Là. Sauf qu’il y a plein de voitures. Votre train est dans 40’ donc il n’y a aucun soucis. Tout est sous contrôle.
– CHARLOTTE : Et vous habitez dans Bruxelles ?
– JÉRÔME : Non.
-CHARLOTTE : Il y a plein de gens qui habitent à l’extérieur non ?
– JÉRÔME : Oui.
– CHARLOTTE : C’est pas loin.
– JÉRÔME : Non j’habite à 25’ de Bruxelles. A la campagne. Avec les enfants, on est sorti. C’est très cher.
– CHARLOTTE : Dans Bruxelles ?
– JÉRÔME : C’est beaucoup moins cher que Paris bien sûr mais si on veut un appartement, avec 3 enfants par exemple, c’est très cher. Donc nous on a décidé de sortir, on est tous les deux de la campagne donc on se sentait très bien d’aller habiter dans les champs.
– CHARLOTTE : Et vous êtes né par ici aussi ?
– JÉRÔME : Non. Je suis né à Namur qui est une ville à 60 kms. Vous êtes vraiment citadine vous.
– CHARLOTTE : Oh oui. Je suis née à Londres mais j’ai dû y passer une semaine et puis on m’a ramenée à Paris. Non mais ma mère avait une maison de campagne en Normandie donc j’ai eu des impressions de campagne, j’aimais beaucoup. Ca me manque de ne pas avoir une échappatoire de Paris.
– JÉRÔME : Vous ne le faites pas ? Le week-end vous ne partez pas.
– CHARLOTTE : Non. On n’a pas de maison de campagne alors non, on est un peu coincé à Paris.
– JÉRÔME : Qu’est-ce que ça devient la rue de Verneuil ?
– CHARLOTTE : Je l’ai achetée quand mon père est mort. J’ai voulu en faire un musée, jusqu’à l’année dernière, pendant 17 ans.
– JÉRÔME : Pourquoi vous ne l’avez pas fait ?
– CHARLOTTE : Non mais le moment, ça a pris énormément de temps et au moment où ça allait aboutir j’ai fait marche arrière et j’ai tout arrêté et j’ai compris que je ne voulais pas en fait. C’est un peu la seule chose qui me reste d’un peu secrète, même s’il y a beaucoup de gens qui ont vu ce que c’était à l’intérieur, il n’y a pas de grand secret, mais c’est un peu une intimité que j’ai, qui m’appartient.
– JÉRÔME : Et vous y habitez ?
– CHARLOTTE : Non.
– JÉRÔME : Vous n’y habitez pas.
– CHARLOTTE : Je suis coincée. Je ne peux ni y habiter… je ne peux pas la vendre, je ne peux pas la louer, je ne peux rien faire.
– JÉRÔME : Vous pouvez y aller de temps en temps.
– CHARLOTTE : Voilà, j’y vais, c’est une maison qui est encore habitée, mais ce n’est pas très sain.
– JÉRÔME : On fait ce qu’on peut. Non ? On lutte comme on peut. C’est très bien. Moi je suis pour. Quelque soit le moyen, du moment que c’est pour aller mieux…
– CHARLOTTE : Oui.
– JÉRÔME : Et bien voilà. Je vous remercie. C’était un vrai plaisir.
– CHARLOTTE : C’était agréable. Je ne vous ai pas trop fait chier ?
– JÉRÔME : Non. Au contraire.
– CHARLOTTE : Bon ben au revoir alors.
– JÉRÔME : Au revoir.
– CHARLOTTE : Merci. Merci pour les fleurs, pour ça…
– JÉRÔME : Et pour les enfants. Y en a un autre. Vous êtes mal. Si y’a deux enfants ils vont se disputer.
– CHARLOTTE : Merci.
– JÉRÔME : Bonne soirée.