Charlotte Gainsbourg Egérie Chérie (le Figaro Madame)

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Charlotte Gainsbourg, les années magnifiques,
Portrait d’une comédienne, chanteuse et égérie qui n’en finit pas de nous étonner. Par Béline Dolat

Comédienne, chanteuse, égérie, elle excelle dans tout ce qu’elle fait et n’en finit pas de nous étonner. Pour notre numéro anniversaire, elle pose en toute liberté pour Tyen et revient avec sincérité sur son parcours, de la jeune effrontée qu’elle fut à l’écran à la femme qu’elle est aujourd’hui. Rencontre avec une discrète surdouée.

On la croit timide, elle s’offre une tournée rock pour la sortie de son dernier album, IRM. On la croit sage, elle ose des rôles de plus en plus extrêmes. On la croit dans l’épure, elle s’amuse devant l’objectif baroque de Tyen. Sous ses airs de grande fille secrète planquée derrière son uniforme cuir, slim, boots, un modèle qui, chez elle, contredisait sa vocation. Depuis vingt ans, cette équilibriste des émotions fait la balance entre une vie de famille heureuse et une carrière exigeante, aujourd’hui internationale, nourrie de projets arty et grand public.
Précipitée d’une époque et d’une génération qui a grandi avec elle, Charlotte l’antistar, fille de Birkin et de Gainsbourg, a tracé son propre sillon et est devenue, un peu malgré elle, une icône. L’incarnation de cette néobourgeoise française, très rive gauche, au chic discret teinté d’accents intello-rock. Pour ce numéro anniversaire, elle a accepté de revenir sur les trois dernières décennies. Sur la jeune fille qu’elle était et la femme qu’elle est devenue. Conversation chronologique, et à voix basse, dans son repaire feutré de la rive gauche.

Les plus belles années

Madame Figaro. – 1986 : César du Meilleur Espoir féminin pour L’Effrontée. Vous avez 14 ans, et toute une génération de jeunes filles s’identifie à vous.
Charlotte Gainsbourg. – Je n’en avais pas conscience, mais ça me plaisait d’être reconnue pour moi et plus uniquement pour mon nom. Même si j’étais encore hésitante sur ce que j’allais faire ensuite, le cinéma me faisait rêver. Petite, lorsque ma mère m’emmenait sur ses tournages, tout me plaisait : l’ambiance, l’équipe… plus que le fait d’être devant la caméra. Mais être actrice ne concordait pas forcément avec ma personnalité. Je voulais être le plus discrète possible. Ma timidité, qui était authentique, a longtemps été une bonne défense. À l’époque, je me suis beaucoup réfugiée dans le cinéma. J’ai dû regarder trois cents fois La Meilleure Façon de marcher, de Claude Miller (avec Patrick Bouchitey et Patrick Dewaere, en 1976, NDLR), À nos amours, de Pialat, et Los Olvidados, de Buñuel ! C’était le début des magnétoscopes. On avait dix cassettes à la maison et elles tournaient en boucle. À cette époque, mes parents se sont séparés. Je vivais chez ma mère, mais quand j’allais chez mon père, il y avait ce grand écran sur lequel il projetait des vidéos import qu’on allait chercher sur les Champs-Élysées. C’était toujours très exceptionnel, on regardait des V. O. non sous-titrées. Grâce à lui, j’ai découvert des films d’horreur qui m’ont marquée : Shining, Carrie… C’étaient des moments forts.

C’est aussi l’âge de l’apprentissage de la féminité…
À la maison, j’entendais ma mère qui disait que dans les années 60 elle se maquillait trop, et qui préférait le naturel des années 70 et 80. Je suis allée vers ça sans me poser de questions. Je ne me suis pas amusée comme on le fait à cet âge-là, à essayer des trucs avec le maquillage, les vêtements, à s’apprivoiser, en fait. Je ne me suis jamais apprivoisée. C’est la raison pour laquelle je traîne un côté « mal dans ma peau » dont je m’accommode… bien mieux qu’à un certain âge ! (Rires.)

1980, les années d’innocence ?
Les plus belles. J’étais insouciante, même si je vivais des drames personnels très intenses. Et puis il y a eu cette école de dessin, l’Académie Charpentier. Une année pour moi en suspens, à faire ce que j’aimais. C’était super, même si je savais qu’à la rentrée suivante. Je n’entrerais pas aux Beaux-Arts parce que j’allais continuer à faire des films.

La rupture

1991 : la rupture. Vous perdez votre père…
C’est comme un couperet. J’ai eu vraiment beaucoup de mal à m’en remettre. Quasiment au même moment, je rencontre Yvan, on s’installe ensemble, et je décide de ne plus être qu’une actrice à mi-temps. Je saute le pas. Ce n’est rien, juste le fait de ne pas s’inscrire en fac. Mais j’ai pris cette décision sans être volontaire, je n’avais pas le bon état d’esprit et je suis restée assise sur mon canapé à attendre que les propositions arrivent. Jusqu’alors, je n’avais jamais eu à me battre. Les projets venaient : un coup c’était mon père, un autre c’était Claude Miller… Le début des années 90, c’est un grand moment de flottement.

Pendant cette décennie, vous changez radicalement.
Entre Merci la vie (de Bertrand Blier, 1990, NDLR) et La Bûche (de Danièle Thompson, 1999, NDLR), je deviens une autre. (Sourire.) Tout a changé pour moi lorsque j’ai eu mon premier enfant (Ben, né en 1997, NDLR). Je l’attendais depuis très longtemps. Je l’ai eu à 25 ans, mais j’étais prête bien avant. D’un seul coup, alors que j’étais tellement dans le passé, mon fils m’a ouverte sur le futur. Son arrivée m’a permis de prendre les choses moins au sérieux. De m’épanouir, d’être plus légère avec la vie, avec mon image. J‘étais bien… et il y avait de quoi.

2001 : Yvan Attal vous filme jolie, sexy et drôle dans Ma femme est une actrice. Un grand succès populaire.
C’est vrai qu’il m’a filmée comme personne. Il m’a beaucoup aimée sur ce film. (Sourire.) Mais ce que j’en retiens, c’est son geste, pas comment j’étais. Je me souviens de ses angoisses, je le regardais écrire, monter. Je l’ai vu jouer comme je ne l’avais jamais vu avant, avec une liberté incroyable. Il était tellement préoccupé par la mise en scène que jouer n’était rien pour lui, sinon un défoulement. J’ai été témoin de cela et j’ai vu ce à quoi je pouvais aspirer en tant que comédienne. Pendant le tournage, je voulais lui plaire. Toute la nervosité que j’avais déjà était décuplée à cause de cela. Mais on s’en est sorti, le film a très bien marché et j’ai appris à me détendre avec la promo. J’avais peur d’avoir à raconter aux journalistes notre vie de couple, notre fils, tous ces trucs dont je ne veux pas parler. Grâce à Yvan, c’est devenu un jeu. Il fallait juste lui faire confiance, ce que j’ai fait.

Icône du style

2003 : vous êtes l’égérie d’une marque de prêt-à-porter, votre image est dans tous les magazines. Vous découvrez le plaisir de faire des photos ?
C’était la première fois que je faisais une publicité (pour Gérard Darel, NDLR), mais j’avais déjà joué le jeu des photos de mode. C’est ma sœur Kate qui m’a initiée. C’est elle la première qui m’a regardée, qui m’a fait poser en me donnant conscience de ce que je faisais. Elle avait l’air de m’aimer physiquement, elle me rendait jolie. Kate m’a donné confiance et m’a ouvert cette voie-là. Malgré tout, ce n’est pas un exercice simple pour moi, j’y vais toujours un peu à reculons. C’est difficile de ne pas me dénaturer parce que je n’ai pas un physique de mannequin. Si on me maquille trop, j’ai l’air bariolée… et moche ! En gros, c’est raté une fois sur deux, mais ce n’est pas grave. (Rires.) J’aime ça, découvrir l’univers des photographes, essayer des choses. Je m’amuse à prendre la pose, je joue avec les vêtements.

À 30 ans, vous devenez, comme votre mère, une icône du style. La mode, c’est un atavisme familial ?
Cette réputation est légèrement exagérée. Ma sœur Lou a un vrai sens de la mode et des vêtements, alors que moi, je n’ai aucun plaisir à m’habiller dans la vie quotidienne. Mais c’est vrai que lorsque je suis en représentation ou sur scène, j’aime ça. Pour ma tournée (cet été, aux États-Unis et en France pour l’album IRM, NDLR), je suis allée voir Nicolas (Ghesquière, directeur artistique de Balenciaga, NDLR) et je lui ai dit : « Aide-moi. J’aimerais trouver des vêtements qui me donnent une identité, sans me transformer radicalement. » Ma rencontre avec lui a été très importante. Nicolas a changé la vision que j’ai de moi et mon rapport à la mode. Ses vêtements sont les seuls qui me vont. C’est un style que j’aime, avec lequel je ne me pose pas de questions. J’adore son regard, c’est agréable d’être prise en main par quelqu’un comme lui, qui ne fait aucun compromis.

A quoi rêve Charlotte Gainsbourg ?

2006 : retour sur la scène musicale. Vingt ans après l’album Charlotte for Ever, vous sortez 5:55, puis IRM en 2009.
La musique, c’est vraiment le grand changement de cette décennie. Il m’a fallu dix ans pour me libérer de mon père, ou plutôt pour assumer l’envie que j’avais de chanter. Me dire que je pouvais le faire sans lui. C’est quelque chose que je n’imaginais tellement pas ! Comme le plaisir que j’ai eu à monter sur scène, d’ailleurs. C’est ma mère qui m’a poussée à faire cette tournée. Elle a commencé à mon âge, et m’a toujours parlé de la scène comme d’une vraie découverte et d’une émotion intense… mêlées à tellement de trac que, parfois, je n’arrivais pas à comprendre où était l’intérêt. Maintenant, je sais.

Août 2010 : trois ans après Antichrist, vous tournez Melancholia avec Lars von Trier. Les retrouvailles ?
Je suis passée d’un extrême à l’autre. Une tournée aux États-Unis en juillet – c’est rigolo, on est dans un car, on ne dort pas, on boit de l’alcool, on prend des shoots d’adrénaline tous les soirs –, et puis ce tournage au fin fond de la Suède. Il m’aurait fallu un petit sas de décompression entre les deux. Tout à coup, je me suis retrouvée avec une équipe que je ne comprenais pas et un metteur de scène que je devais partager avec beaucoup de monde, après le tournage très intime d’ Antichrist. Nous avons commencé par une scène de mariage : cent figurants et tout le casting réuni (Kirsten Dunst, Stellan et Alexander Skarsgård, John Hurt, Kiefer Sutherland, Charlotte Rampling, NDLR). C’était très déroutant, mais, petit à petit, le plaisir est revenu.

ET AUSSI…

Le making of de la séance photo >>
Le parcours de l’actrice en images >>

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