Charlotte Gainsbourg: entre cri et douceur (L’Express)

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Elle est une des héroïnes des Fantômes d’Ismaël, présenté en ouverture du Festival de Cannes. Un rôle de femme aimante pour une actrice qui aimerait tant faire du bruit.

Par Eric Libiot, L’Express, le 17/05/2017

Charlotte est venue à deux aujourd’hui. Accompagnée par mademoiselle Gainsbourg. Il semble toutefois qu’elles se promènent souvent ensemble, même si personne ne s’en rend vraiment compte. Elles, si. Et elle aussi. Ce qui peut se résumer en une phrase : « Mon père me disait toujours que j’étais une orchidée déguisée en ortie. Je n’entendais que le mot ortie. » Entre caressante et urticante, il y a le miroir qui sépare la personne de son image. L’envie d’être soi et le désir qu’on suscite. Charlotte se sert le thé avec soin et porte une minijupe en cuir version glam rock.

Elle finit parfois ses réponses d’une manière abrupte, façon commode de passer à la question suivante qu’elle espère sans doute plus intéressante, et rit aussi de bon coeur comme elle pourrait le faire entre amis. Elle a le port de visage volontaire et la silhouette effacée. La voix retenue et les mots précis. Présente le temps de l’entretien et ailleurs quand sonne le glas. Rêveuse et lucide. Elle adore le cinéma d’horreur et joue dans Les Fantômes d’Ismaël, présenté en ouverture du festival de Cannes, une femme à l’amour délicat.

« Je suis frustrée des rôles que je n’ai pas »

On aurait trop vite fait d’y voir le syndrome « Jekyll et Hyde », explication banale d’une dualité inhérente au métier de comédien. Charlotte Gainsbourg, elle, ce qui la rend mille fois plus aimante, se déclare « imposteur ». Pas moins. Mais c’est déjà beaucoup. « Je m’en accommode. Il existe de nombreuses comédiennes qui font ce métier en professionnelles. Ce n’est pas mon cas. Meryl Streep, par exemple, construit sa carrière, lance des projets, se met sur le devant de la scène. Alors que pour moi, jouer est une parenthèse dans ma vie. Ce qui ne me rend d’ailleurs pas tranquille. Je suis frustrée des rôles que je n’ai pas. »

Charlotte Gainsbourg voudrait être tout et tout, alors qu’elle ne fait rien pour. Difficile de l’en blâmer quand chacun a ses raisons. Cette fois, pourtant, elle a écrit à Arnaud Desplechin pour lui signifier son envie de travailler avec lui. Ils s’étaient approchés ici ou là sans jamais conclure. C’est fait. Dans le film, elle est magnifique comme jamais et pourtant ce personnage de femme douce et amoureuse lui faisait « peur » et peut-être même l’agaçait. La vie n’est pas facile et le cinéma pas davantage. « Ce rôle est difficile à jouer parce qu’il est bienveillant. Moi, je ne suis pas si gentille. Je préfère des rôles plus bruyants et plus brutaux. »

C’est dit tranquillement comme on se ressert une tasse de thé. Ce qu’elle fait. Et mérite explication. Qu’elle donne. Le personnage qu’elle a préféré jouer est celui qui ne porte pas de nom (!) : dans Antichrist, de Lars von Trier, elle est une femme bouffée par le désir et la violence. Il y a du sexe et du sang, des cris et de la fureur. « Je me suis sentie bien. J’ai pu me reposer un moment de tous ces rôles fragiles et doucereux que j’ai joués et que je ne trouve pas très valeureux. » Un temps, un thé, et puis : « Mais c’est aussi comme ça que je suis. »

« J’aimerais tellement qu’on me propose un rôle dans un film d’horreur… »

On est là au coeur du réacteur Gainsbourg. La simplicité des mots et le bouillonnement intérieur. Le sourire en forme d’évidence et l’impuissance en bandoulière. L’orchidée ne se plaît pas et l’ortie sort des griffes. « J’ai beaucoup joué de mon physique de jeune fille alors que je me voyais comme quelqu’un de très ingrat. Ma mère est sublime, mon père s’entourait de beautés et j’ai un rapport singulier avec le physique. Ne me trouvant pas très belle, je pensais qu’il allait être facile de vieillir. Eh bien, non. J’aimerais me foutre de mon apparence, je n’y arrive pas. »

Chose banale pour un acteur ou une actrice. Mais ici, l’effrontée qu’elle fut dans le film de Claude Miller et qui dessina sa carrière, se mue, à son corps défendant donc, en une actrice resplendissante trop sage à son goût, mais capable de tout si le cinéma voulait bien s’intéresser à elle. S’intéresser autrement, s’entend. Elle aurait voulu jouer dans Alien. Dans Shining. Dans Carrie. « J’aimerais tellement qu’on me propose un rôle dans un film d’horreur… » C’est dit en riant et en espérant.

En attendant, elle peaufine l’album qui sortira à la rentrée. Pour la première fois, elle en a écrit toutes les paroles. Paroles qui disent… « Vous verrez. Mais j’ai parlé de ce que je connais le mieux : moi. » Elle s’est donc enfin donné son plus beau rôle. Charlotte et Gainsbourg. Ça devrait bien lui aller.

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