Par Métro France, 3 décembre 2009
La chanteuse présente IRM, à paraître le 7 décembre. Elle nous raconte son travail avec Beck et revient sur le controversé « Antichrist ».
« IRM » est un disque très éclectique. Etes-vous surprise du résultat ?
Surprise non, parce que j’ai vécu avec pendant plusieurs mois. Mais au fil de l’enregistrement, j’ai été surprise parce qu’on est allé dans des univers que je ne connaissais pas. Mais c’est aussi pour ça que j’ai fait appel à Beck. Parce qu’avec lui, j’avais l’impression que je pourrais expérimenter, m’approprier plein de styles différents.
Vous aviez dressé une liste de producteurs idéaux ?
Pas vraiment. J’ai toujours admiré Radiohead mais ce n’était pas envisageable ! Le nom de Beck est venu très naturellement. Avant d’enregistrer avec Air, j’étais allé rencontrer le producteur Nigel Godrick qui enregistrait avec Beck au même moment. C’est là que je l’ai croisé pour la première fois. Ensuite je l’ai vu à des concerts sans qu’on se rencontre réellement. Lui m’a rappelé que lorsqu’on enregistrait avec Air, on avait fait appel à lui pour écrire des paroles en anglais. Il n’était pas libre et on avait abandonné l’idée. Et puis le père de Beck avait fait les cordes sur le précédent. Bref c’était tout un milieu qui travaillait ensemble et qui a fini par nous rassembler. Même s’il aurait très bien pu ne pas vouloir !
Vous lui avez demandé directement ?
Non, c’est ma maison de disques qui a appelé son manager. Je ne voulais pas le mettre mal à l’aise s’il n’avait pas envie. Qu’il n’ait pas à me le dire en face. (sourire). On s’est d’abord vu pour cinq jours, une entrée en matière. Trois mois plus tard il m’a envoyé les trois titres sur lesquels on avait travaillé. J’ai tout de suite été convaincue et j’ai eu très envie de lui demander de tout faire !
Le résultat est à la fois très éclectique et très cohérent. Comment travaillons-t-on avec Beck ?
J’en voulais toujours plus et j’aurais pu ne jamais m’arrêter. C’était incroyable de le voir créer morceau après morceau, observer cette créativité énorme. J’avais l’impression qu’il se levait avec sa guitare et qu’il composait toute la journée, qu’il réfléchissait à un texte en écoutant d’une oreille ce que l’ingénieur du son était en train de faire. Ca allait dans tous les sens et plus on essayait des choses différentes, plus ça me plaisait. D’ailleurs on a essayé beaucoup plus de choses que ce qu’il y a sur l’album. Pour moi c’était parfois délicat. Je n’avais pas l’impression d’apporter grand chose, je passais des journées entières à gratter des mots dont je n’étais pas toujours très fière. Un dialogue s’est installé au fur et à mesure. Il partait d’un rythme, d’une percussion, d’un sample puis il improvisait pendant un temps infini, jusqu’à obtenir un morceau qui nous plaisait.
Beck n’enregistre pas souvent pour les autres. Vous avez l’impression de l’avoir inspiré ?
On discutait, mais je n’allais pas lui demander ouvertement s’il était heureux. Alors j’essayais de savoir par sa femme, son manager s’il était content et apparemment il était ravi de ce travail ! Maintenant il reste quelqu’un de très secret et je n’en sais pas beaucoup plus sur lui.
Avant de commencer lui avez-vous raconté les événements récents de votre vie, notamment votre hémorragie cérébrale ?
Je lui ai raconté mais le plus marrant, c’est qu’il avait deviné. Lors de notre première séance, on a travaillé sur trois titres : « Heaven Can Wait », « In the End » et « Master’s Hand » dans laquelle il me fait dire « Drill your brain full of holes », « faire des trous dans ta cervelle ». Lorsqu’il a su que j’avais vraiment un trou dans la tête, ça l’a un peu gêné alors que moi, ça m’a plutôt fait marrer. A la deuxième séance, je suis venu avec les sons d’IRM. Or lui aussi en avait fait !
Pourquoi avoir donné le nom de l’album à ce titre en particulier ?
On s’est d’abord préoccupé du tracklisting et puis j’ai cherché un titre qui avait du sens et pour moi c’était le plus évident. Le plus personnel aussi. Et puis j’aime bien le côté à la fois cru, clinique et poétique de ce mot. En revanche je ne me suis pas rendu compte que j’allais devoir parler de mon accident à chaque interview ! En utilisant ces sons, je n’avais pas l’impression d’être impudique. Ce n’est pas un secret, même si je ne me suis pas exprimé dessus. Vu que je ne suis pas poète, que je ne sais pas écrire une chanson, le seul moyen de faire quelque chose de légitime, c’était de parler de choses très intimes.
Tout du long, on sent un mélange de gravité et de détachement par rapport à la mort…
Maintenant qu’il faut en parler, je réalise que je n’ai pas trop réfléchi à tous ces thèmes sur le moment. J’écrivais « Heaven Can Wait » sur un bout de papier, de façon spontanée. Tout était très inconscient. Mais c’est vrai que j’avais un livre d’Apollinaire avec moi et que lorsque je l’ouvrais, je me dirigeais vers la mort mais aussi le manque, l’amour, le temps. Ca m’obsède quand même un petit peu ! (rires).
« Le chat du café des artistes » est l’une des plus noires…
Tellement que ça en devient drôle ! C’est une reprise du Québécois Jean-Pierre Ferland et dans l’original, les chœurs étaient faits par des enfants. Entendre des voix angéliques chanter « quand on est mort, c’est qu’on est mort », je trouvais ça étonnant et original. C’est un titre que Beck a sorti de ses tiroirs et le comble, c’est que ce soit la seule chanson entièrement en français ! Je crois qu’il avait envie que je revendique ma culture française alors que moi je n’avais qu’une envie, c’était de me détacher, de chanter des mots qui reflètent des images qui n’étaient pas forcément les miennes.
Beck est un grand fan de votre père, non ?
Oui mais il avait la pudeur de ne pas trop insister là-dessus. Parce que moi-même j’insiste beaucoup dans ma tête… (sourire). Maintenant quand j’entendais des percussions, je ne pouvais pas m’empêcher de penser à des titres de mon père comme « New York USA » ou « Couleur Café ». Ce genre de référence me plaisait beaucoup.
Avec un peu de recul comprenez-vous les critiques très négatives qu’a pu recevoir « Antichrist » ?
Oui parce que je comprends la provocation qu’il renferme. Mais je pense aussi que c’est un film très honnête, très spontané. En tout cas je n’ai pas l’impression d’avoir tourné avec quelqu’un de misogyne comme je l’ai beaucoup entendu. La violence, la mutilation que s’inflige le personnage, je me le suis expliqué que par rapport à la culpabilité qu’éprouve le personnage. C’est le point de vue d’un artiste que je respecte et je n’ai surtout pas l’impression d’avoir utilisée ! En fait j’avais l’impression de le jouer lui. Sa fragilité sur le moment car il sortait d’une dépression. Et pour moi le personnage mauvais c’est le mari, le professeur.
Vous avez récemment expliqué que vous n’aviez pas très envie de voir le film de Joann Sfar sur votre père…
Imaginez voir un film sur votre père qui est mort ! C’est un film qu’on a accepté, tous en famille. De là à le voir… Ca fait longtemps que des artistes s’approprient mon père et c’est très bien, c’est normal. Je suis heureuse qu’il y ait ce genre de témoignage d’amour pour son travail. Mais il ne faut pas me demander d’adhérer à tout parce que ça reste difficile, ça reste douloureux. Ce qui m’a toujours fait peur, c’est qu’on réduise mon père à une certaine image, qu’on se contente d’un biopic classique. Ce qui me plaît, c’est la vision d’un artiste sur un autre artiste, comme l’a fait Todd Haynes avec le film sur Dylan. Joann Sfar avait la même ambition et j’espère que c’est réussi.
Et si IRM était un film ?
Oh ce serait un film de science-fiction avec un côté robotique, un peu inhumain jusque dans la voix. Ou alors un documentaire chirurgical pourquoi pas !