Par Géraldine Catalano (L’Express), publié le 18/05/2009
On l’imagine insaisissable et très branchée. On la découvre marrante, peu sûre d’elle et risque-tout. Avec Antichrist, le nouveau film coup de poing de Lars von Trier, en compétition à Cannes, celle qui a fait ses débuts il y a vingt-cinq ans signe son plus gros pari d’actrice. Confidences.
ON L’IMAGINE INSAISISSABLE ET TRÈS BRANCHÉE. ON LA DÉCOUVRE MARRANTE, PEU SÛRE D’ELLE ET RISQUE-TOUT. AVEC ANTICHRIST, LE NOUVEAU FILM COUP DE POING DE LARS VON TRIER, EN COMPÉTITION À CANNES, CELLE QUI A FAIT SES DÉBUTS IL Y A VINGT-CINQ ANS SIGNE SON PLUS GROS PARI D’ACTRICE. CONFIDENCES.
Pour vraiment comprendre ce qu’est une star, on peut aller s’agripper aux grilles du Palais des festivals durant la Quinzaine, en espérant entrapercevoir un centimètre de la chevelure de Monica Bellucci ou un bout de la semelle de Brad Pitt. On peut aussi aller tranquillement boire un thé à l’hôtel Montalembert, au coeur de Saint-Germain-des-Prés, un jour de printemps, en compagnie de Charlotte Gainsbourg. L’actrice est là pour défendre Antichrist, une histoire de deuil, de sexe et de larmes filmée par le maître des souffrances intérieures européen, Lars von Trier.
Entrez dans l’univers de Charlotte Gainsbourg
Difficile de faire plus discrète que la comédienne, et pourtant tous les regards convergent vers elle avec un mélange de curiosité et de distance. Le serveur apporte la commande, s’attarde, aimerait bien saisir quelques bribes de la conversation chuchotée de l’actrice. Pas de chance, celle-ci se fait instantanément silencieuse. Et quand elle reprend la parole, tricotant de longues phrases où chaque mot compte, eh bien, on écoute.
« Je suis consciente de mon incapacité à dépasser un certain stade dans mon jeu », confiez-vous en 2005. Est-ce pour franchir un cap que vous avez accepté de tourner pour Lars von Trier?
Si c’était le cas, ce n’était pas conscient. En apprenant que j’avais obtenu le rôle, j’étais bêtement heureuse, c’est tout. Et puis l’expression » franchir un cap « , je trouve, est un peu prétentieuse. Disons qu’avec certaines méthodes et certains guides, on arrive à ses fins avec moi !
Quelle a été votre réaction en lisant le scénario d’Antichrist?
Celle de quelqu’un qui découvre un livre d’horreurs. L’histoire m’intriguait, m’interpellait, me faisait peur. Je me posais un tas de questions auxquelles je n’ai toujours pas de réponses, d’ailleurs. Mais finalement, j’aime bien l’idée que le film et Lars gardent leurs mystères.
Racontez-nous votre première rencontre avec le cinéaste danois.
C’était au Danemark, pendant le casting. Jamais je ne me suis sentie aussi ordinaire que ce jour-là, ni aussi sûre de ne pas obtenir le rôle ! Plus Lars montrait sa nervosité, plus je me sentais paisible. Il me demandait si, comme l’héroïne, j’étais sujette à des crises d’angoisse, je disais non. Si j’étais d’une nature nerveuse, je disais: « Non, non plus. » [Sourires.] Quand je posais des questions sur le scénario, il ne me répondait pas… Une semaine ou deux plus tard, j’ai su que c’était bon.
Nerveusement, c’était dur.
Björk a failli abandonner le tournage de Dancer in the Dark, en 2000, et Nicole Kidman a eu plusieurs violentes explications avec son metteur en scène pendant celui de Dogville, en 2003. Il faut être un peu maso pour tourner avec Lars von Trier, non?
Oui, c’est évident. J’avais cru comprendre que ça se passait mal avec les actrices… Avant de tourner, Lars m’a d’ailleurs beaucoup parlé des crises de Björk et de leur collaboration difficile, il m’a demandé si ça ne me posait pas de problèmes de tourner nue. On sentait qu’il voulait tout blinder. Il m’a aussi dit qu’il espérait ne pas craquer, mais que cela pouvait se produire. J’étais donc aux aguets. Mais il a été avec nous tout le temps, et d’une très grande générosité. A un moment, très bref, j’avoue avoir vu dans son regard le plaisir qu’il avait à faire souffrir, et ça ne m’a pas beaucoup plu. Mais à part cette unique seconde-là, il a été parfait. Quand on dînait ensemble, on n’avait pas forcément grand-chose à se dire, mais notre complicité dans le travail était à la fois très agréable et très intense.
Catherine Deneuve a joué dans Dancer in the Dark. Avez-vous été tentée de lui demander quelques conseils sur le personnage?
J’ai voulu l’appeler, oui… Et puis, sans que je sache vraiment pourquoi, je ne l’ai pas fait.
Comment avez-vous abordé les scènes très crues du tournage?
Je croyais que j’étais pudique, mais, en réalité, je ne le suis pas. A partir du moment où je savais où était la caméra, je n’étais pas gênée. Et à côté de la violence des sentiments, montrer ses fesses n’était finalement pas grand-chose. Ce n’était pas le plus flippant.
C’était quoi, le plus flippant?
Les crises d’angoisse. Je n’avais aucun repère par rapport à ça. Lars était ma seule référence en la matière ! Nerveusement, c’était dur. Heureusement, je rentrais le week-end pour voir mes enfants. Et j’écrivais beaucoup à ma mère. On a échangé énormément d’e-mails et de Texto pendant le tournage. Je m’amusais à lui raconter en détail les scènes les plus crues, ce qui l’intéressait beaucoup. [Rires.] Ses rires étaient comme une respiration entre deux scènes très lourdes, et entre deux cauchemars. J’en ai fait beaucoup pendant le tournage : je rêvais de sorcières, de fantômes… J’avais l’impression de retomber en enfance.
J’oublie vite les compliments que je reçois.
Comment sort-on d’un tel tournage ?
Comme d’un rêve étrange qui aurait duré deux mois. Soulagée, heureuse, très angoissée aussi. Je me demande si on va supporter mes hurlements, ma folie… J’ai vu le film trois fois, mais je n’arrive pas à avoir du recul par rapport à lui.
Prenons-en un peu pour parler de vous. Vous incarnez, à la manière d’une Sofia Coppola aux Etats-Unis, la quintessence de la branchitude. Ce statut d’icône vous agace-t-il ?
Icône, vraiment ? Je reçois beaucoup de compliments, c’est vrai, mais je les oublie vite. Je me connais et je suis très critique envers moi-même.
Mais être samplée par Madonna (sur l’album Music, en 2000), avoir pour parrain Yul Brynner et être sacrée femme la mieux habillée du monde par Vanity Fair, ça en jette sur un CV !
Oui, oui ! [Rires.] Sur le papier, ça peut paraître énorme. En réalité, j’ai parlé deux fois à Madonna, et j’ai dû voir Yul Brynner à peu près autant de fois dans ma vie. Il me semble qu’il côtoyait mes parents à ma naissance. Il était là, m’a prise dans ses bras, m’a offert un bracelet très beau, que j’ai toujours, d’ailleurs. On a pris une jolie photo. Mais c’est tout !
Et Vanity Fair ?
ça, ça m’a fait très plaisir. Moi qui me trouve toujours affreuse sur les photos… C’était un beau compliment.
Citez-moi quelque chose chez vous qui ne soit pas cool ?
Oh là là !… mais beaucoup de choses. [Elle réfléchit.] Tiens, je fais couler l’eau du robinet quand je vais faire pipi. Ce n’est pas très cool, ça non ?
Les castings rendent humble.
Allez, on s’en contentera… Vous avez refusé l’an dernier de tourner la suite de Terminator. Votre filmographie compte-t-elle d’autres ratages spectaculaires ?
Je n’ai pas été prise pour Esther Kahn [d’Arnaud Desplechin, en 2000]. Je me souviens aussi m’être dégonflée pour les essais de Heat [de Michael Mann, en 1996, rôle finalement interprété par Natalie Portman]. J’étais à Los Angeles à l’époque, mais je n’ai pas eu le courage d’aller improviser sur cette petite fille qui ne trouvait plus ses barrettes. Je regrette beaucoup, même si j’étais un peu âgée pour le rôle. Pour Terminator aussi, je regrette. Mes agents m’ont poussée à fond, mais, là encore, j’ai manqué de courage. Je n’ai pas non plus spécialement accroché avec le metteur en scène [l’Américain McG], ni avec mon rôle.
On a du mal à imaginer Charlotte Gainsbourg obligée de s’imposer l’épreuve des castings.
Pourquoi ? Demain encore, j’en passe un, mais je ne vous dirai pas pour quel film, ça va me porter malheur. [Rires.] Même pour le Chéreau [Persécution, qu’elle vient de tourner au côté de Romain Duris], j’ai fait des essais, car il n’était pas très sûr de son choix. Les castings rendent humble, et ça fonctionne dans les deux sens : c’est aussi une façon pour un acteur de savoir s’il a envie de travailler avec un metteur en scène.
On est loin de l’enfant presque inconsciente qui faisait ses débuts dans Paroles et musique, d’Elie Chouraqui, il y a vingt-cinq ans.
Ça, oui ! Même si chaque nouveau film est pour moi comme le premier. Je me souviens de ma joie lorsque j’ai été prise pour Paroles et musique, des petites fiches que j’avais préparées pour réviser mon texte. De ma chambre d’hôtel au Canada, où je vivais pour la première fois comme une grande. C’est avec La Petite Voleuse que je suis devenue plus consciencieuse, et plus consciente de mon envie de faire ce métier. Mais, à l’époque, je ne croulais pas sous les scénarios.
Elle paraît loin aussi, cette période…
Oui. C’était un moment où j’allais très très mal. Je venais de perdre mon père. Je ne savais pas comment m’y prendre pour montrer que j’avais envie de faire du cinéma. Ça ne bougeait pas et je ne me bougeais pas. C’est à la naissance de mon fils que j’ai remis les pieds sur terre.
En lisant vos interviews, on se rend compte que c’est souvent vous qui évoquez vos parents, ce qui est plutôt rare chez les enfants de stars.
Mais oui, je m’en suis rendu compte au moment de la sortie de mon album ! J’étais décidée à ne pas faire allusion à eux et, très vite, je me suis aperçue qu’il était impossible de parler de musique sans évoquer leur héritage.
A quel moment celui-ci a-t-il cessé d’être lourd ?
En musique, il le sera toujours. Avec le cinéma, depuis que je me sens mieux. Disons, depuis Ma femme est une actrice et, dans une moindre mesure, La Bûche. Le fait que ce soient des succès et des comédies a beaucoup joué. Les succès donnent confiance. La décontraction d’Yvan [Attal] à la sortie de Ma femme est une actrice m’a vraiment aidée. J’ai compris à ce moment-là qu’un film pouvait être ludique, qu’on n’était pas obligé d’avoir peur constamment.
J’espère que j’aurai l’énergie de ma mère.
On parle beaucoup de cinéma chez les Gainsbourg-Attal ?
Un peu trop, oui. [Sourires.] Mais on ne lit jamais les scénarios l’un de l’autre. Ça nous ennuie mortellement.
Où en est votre projet d’un troisième long-métrage ensemble ?
Il est en cours. Mais Yvan a d’autres projets, dont certains sans moi.
L’idée de le voir tourner sans vous vous ennuie ?
Oui… parce que je sais ce que représente la tension d’un metteur en scène pendant un tournage. Pour lui, rien d’autre n’existe… sinon ses acteurs. Yvan et moi sommes habitués à travailler chacun de notre côté. Chaque fois, on perd en complicité, mais juste pendant deux mois. Réaliser un film représente un an de travail. Ce sera dur. Je serai peut-être obligée de me trouver un job sur son film !
Dans vingt-cinq ans, vous vous imaginez comment ?
J’espère que j’aurai l’énergie de ma mère, que je tournerai toujours, et surtout que je ne serai pas trop affectée par mon physique. Quand la fraîcheur fout le camp, tout devient plus compliqué pour une femme, a fortiori dans ce métier. On passe toutes par une étape délicate où l’on doit accepter que la jeunesse s’en va. J’espère simplement que cette phase passera vite… Mais bon, j’ai plein de copines de plus de 40 ans qui mènent une vie débridée et très épanouie, ce qui me laisse beaucoup d’espoir. [Sourires.]