Par Paola Genone, publié par L’Express Styles le 02/05/2012
La chanteuse au timbre voilé démarre une tournée française pour présenter son dernier album, Stage Whisper. Celle qui s’est longtemps considérée comme un garçon manqué nous dévoile les femmes qui comptent dans son existence.
Si la comédienne n’a plus rien à prouver, la chanteuse au timbre voilé se lance un nouveau défi: elle démarre une tournée française pour présenter son dernier album, Stage Whisper, accompagnée du musicien électro-pop Connan Mockasin. On l’attend aussi à Cannes, au bras de Pete Doherty, avec qui elle joue dans Confession d’un enfant du siècle, une adaptation de Musset par Sylvie Verheyde. Celle qui s’est longtemps considérée comme un garçon manqué nous dévoile les femmes qui comptent dans son existence.
Judy Campbell et Olga Ginsburg mes grands-mères
« Ces deux femmes ont eu un grand rôle dans ma vie, dans mes choix… L’une m’a fait découvrir le métier d’actrice; l’autre m’a plongée dans la musique. Ma grand-mère maternelle, Judy Campbell, était une comédienne extraordinaire. J’étais fascinée par sa beauté hollywoodienne, son élégance, sa culture et sa distinction très british.
Grand-mère était une mélomane: je la revois en train de chanter des mélodies russes avec mon grand-père
Olga Ginsburg, la mère de mon père, avait quelque chose d’exotique et de très intriguant: c’était une Russe juive qui avait fui la révolution d’Octobre avec mon grand-père. Elle avait un accent à couper au couteau, une autorité et une force impressionnantes. C’était elle le nerf de la famille. Ma soeur Kate et moi n’avions grâce à ses yeux que parce que nous étions les filles de « son » Serge. Grand-mère était une mélomane: je la revois en train de chanter des mélodies russes avec mon grand-père qui l’accompagnait au piano. Il me reste un enregistrement de ces moments rêveurs et folkloriques.
Je me souviens aussi de mon émerveillement dans les coulisses des théâtres londoniens, où je passais des heures à regarder ma grand-mère maternelle répéter et jouer des pièces. Ou de sa maison cocoon à Chelsea, où j’ai passé tous mes Noël. Je garde en mémoire des instantanés, des goûts et des senteurs aussi: le thé noir au lait très sucré et les pâtisseries que préparait ma grand-mère russe dans son appartement, avenue Bugeaud, dans le XVIe arrondissement… »
Charlotte Gainsbourg au 62ème festival de Cannes.
Jane Birkin ma mère
« Je l’imagine un peu comme un triptyque! [Rires.] Il y a eu la période Serge Gainsbourg, la période Jacques Doillon et puis la période Jane « seule ». Je la revois, avec mes yeux d’enfant, à côté de mon père. Ils avaient vraiment une vie à eux, détachée de nous. A posteriori, j’adore m’en souvenir: c’étaient les années 1970, et ils rigolaient beaucoup. Ils étaient tellement légers. Avant des passages douloureux: leurs litiges, leur séparation… Avec Jacques (Doillon), tout a changé: c’était la vraie vie de famille, le noyau. « Jane » a pleinement assumé son rôle de mère. Elle était présente à tous nos repas. Et notre petite soeur, Lou, est née. Paradoxalement, c’est au moment où ma mère a commencé à être présente que j’ai pris mon envol. Je suis devenue indépendante et assez sauvage. C’est aussi à cette époque – je devais avoir 14 ans – que j’ai pris conscience de la beauté de ma mère, de son talent, de sa voix… Ce qui n’a pas été évident à vivre, parce que j’ai commencé à être très complexée.
Quand, un jour, je le lui ai avoué, elle est tombée des nues. Malgré cela, les critères de beauté m’ont obsédée pendant longtemps. J’ai fini par réaliser que ce n’était pas du tout la faute de ma mère. Peut-être, involontairement, celle de mon père… Il ne m’a jamais dit qu’il me trouvait moche, mais on sentait bien qu’il avait une idée très précise de l’esthétique. Je ne correspondais en rien à ses idéaux. Aujourd’hui, en regardant les photos de moi enfant puis adolescente, je me dis que ma mère avait raison: je n’étais pas si mal que ça! Et c’est touchant de le réaliser. Dommage, j’aurais pu en profiter! Quand je vois comment ma mère est devenue une femme si solide, sûre d’elle, indépendante et engagée, je suis fière d’elle, de son parcours. Ça ne l’empêche pas de garder son côté excentrique, comme lorsqu’elle emmène mes enfants, à minuit, promener ses chiens et manger des glaces. »
Bambou ma belle-mère
« Quand j’ai rencontré Bambou, j’ai eu du mal à l’imaginer comme une seconde maman: elle n’avait que douze ans de plus que moi… C’était plutôt une grande soeur: avec elle, j’ai fait les quatre cents coups! [Rires.] Nous partagions des choses dingues qui finissaient par me paraître tout à fait normales: faire de l’auto-stop à Paris, le jour comme la nuit. Sortir en boîte, aller aux fêtes… Et, à nouveau, j’étais devant un autre canon de beauté -avec une sexualité débridée et sans censure… Mais elle n’a pas représenté que cela: elle s’est vraiment occupée de moi. Mon père dormait jusqu’à 14 heures et moi, à 10 ans, je me levais tôt. La pauvre Bambou, qui avait passé la nuit à faire la fête avec mon père, devait se réveiller et m’emmener très vite au jardin ou dans un musée. Le bruit d’une gamine aurait énervé mon père. Je considère Bambou comme une seconde maman. Et j’aime faire partie de toute cette famille de femmes. »
Charlotte Gainsbourg lors du 64ème Festival de Cannes pour la présentation de « Melancholia » de Lars Von Trier.
Marilyn Monroe ma chanteuse
« Si je pense à Marylin, la première chose que j’imagine, c’est son personnage de chanteuse dans Certains l’aiment chaud. Ce film m’a accompagnée tout au long de ma vie… Marilyn est sans doute la femme la plus loin possible de moi… Quand elle chante I Wanna Be Loved by You, le rythme surgit de chaque roulement de ses hanches. C’est la féminité à l’état pur. Un mélange de sensualité, de charme, d’ingénuité et de maladresse. Elle incarne la beauté et quelque chose de très douloureux aussi. Quand elle joue du ukulélé dans Certains l’aiment chaud, et qu’elle chante I’m Trough with Love, elle a le regard d’un animal blessé, elle boit, mais elle a une vitalité incroyable. Ses gestes, ses regards sont de la musique à l’état pur. A travers ses inflexions, sa spontanéité, elle nous offre ce qu’on sait d’elle. Et ce qu’on ne saura jamais. »
Gena Rowlands mon actrice
« Elle possède une forme de féminité qui m’attire terriblement. Surtout dans Une femme sous influence, de John Cassavetes. Comme dans le cas de Marilyn, encore une fois, la beauté et la douleur vont ensemble. Gena Rowlands, ce n’est pas la sensualité évidente et affichée, mais une beauté grave, envoûtante comme le tango. Ce qui me plaît chez elle, c’est qu’on est devant une vraie femme, avec des réflexes et un quotidien de femme qui n’existent plus à notre époque… Il s’agit de petits gestes merveilleux: sa façon de se mettre du rouge à lèvres à la table d’un café dans Gloria… Une somme de détails: ses bas, son vernis à ongles parfait, ses sourcils dessinés… Son sac à main. Si j’étais un homme, cette féminité me mettrait dans tous mes états. Vraiment! [Rires.] Je pense que j’ai un côté masculin… Enfin, je ne suis jamais passée à l’acte, mais j’aime les femmes! Et, plus elles sont loin de moi, plus je les trouve belles. »
Les modèles de mes peintres
« J’ai toujours été captivée par les modèles qui posent devant un peintre. J’ai fait une année de dessin aux Beaux-Arts, à 18 ans. Chaque jour, une femme se dénudait devant nous, sans aucune impudeur et avec une telle générosité. C’était passionnant de pouvoir poser les yeux sur elles, les analyser et tenter de les dessiner en s’approchant le plus possible de leur vérité. Il y avait une telle grâce dans ces formes: moins les corps respectaient les canons de beauté que l’on voit dans les magazines, plus ils étaient beaux. Quand j’imagine la complicité d’un peintre avec son modèle, je réalise que le modèle m’intrigue encore plus.
Je pense à Marthe, la muse et la femme de Bonnard… Marthe se lavant, s’essuyant, assise sur un lit, s’offrant avec une douceur teintée de mélancolie qui anime le pinceau du peintre. Ou à Fernande Olivier, la muse de Picasso. Elle l’arrache au blues de la période bleue. Picasso a 23 ans quand il tombe éperdument amoureux de cette jeune modèle montmartroise. Ensemble, ils vont conjuguer toutes les folies de la vie de bohème: opium, bamboche, pitreries. Et misère. Transfigurée, sa peinture s’éclaire, s’exalte. Le sombre bleu cède sa prédominance au rose. Et Picasso devient fameux. »