Par Alexis Campion – Le Journal du Dimanche, Vendredi 04 Décembre 2009
A l’affiche de Persécution, Charlotte Gainsbourg présente aussi IRM, son album réalisé avec Beck suite à son accident cérébral. Elle évoque ses projets
Sa voix est toujours aussi douce, vulnérable et familière. Son visage, lui, paraît plus sûr, comme affermi. Cela se sentait déjà à Cannes, en mai dernier, lorsque Charlotte Gainsbourg s’est vue décerner le prix d’interprétation pour sa composition kamikaze dans Antichrist, le film extrême de Lars Von Trier. Cela paraît évident aujourd’hui en couverture de nombreux magazines alors que son troisième album, IRM, nous révèle une personnalité plus solide qu’il n’y paraît, affable et posée. Pour Patrice Chéreau, qui l’a dirigée au côté de Romain Duris dans Persécution, ces détails comptent. « Ce qui est magnifique en elle, c’est que brusquement une maturité absolument à elle surgit, s’impose. C’est d’autant plus touchant que c’est une fille qui joue toujours avec une vérité totale. Cela s’entend dans sa voix qui dégage une sincérité rare, suspendue. On a tous envie de l’aimer. »
L’album s’intitule IRM, tout commence donc par votre accident cérébral de 2007…
Oui, cela a commencé comme ça. Cela ne veut pas dire que cette expérience m’a transformée. Disons que j’ai cherché à m’en remettre le mieux possible en allant vers Lars Von Trier, vers Patrice Chéreau, puis vers cet album qui allait, lui aussi, me demander beaucoup. Cela a fonctionné même si, pendant tous ces mois, passé le moment très heureux de retourner dans la vie, un trouble m’a accompagnée… Pour le disque, n’étant pas auteur ni compositeur, je ne pouvais pas envisager de le faire sans y mettre quelque chose de vraiment personnel. Or ce que j’avais de plus intime à partager, c’était ce trouble et les différents stades franchis après un choc. J’aimais ce côté clinique mêlé à des éléments métaphoriques qui nous emmènent vers d’autres thèmes, la mémoire, le souvenir, la vie passée…
Juste après le tournage du Lars Von Trier, vous êtes arrivée sur celui de Persécution. Comment cela s’est-il passé ?
Très bizarre ! Au départ, j’étais une étrangère, habitée par tout ce que j’avais vécu dans ma petite cabine, dans la forêt de Lars ! (rires) Débarquer à Paris, avec une autre méthode de travail, d’autres comédiens, c’était déroutant. Il m’a fallu du temps pour comprendre, trouver ma place. Il faut dire que je suis lente, j’ai besoin de connaître les gens, je ne peux rien faire instantanément. Par chance, le Chéreau a été tourné en deux fois. Et c’est pendant les trois mois qui ont séparé les deux tournages qu’on a commencé l’enregistrement de l’album en Californie. J’avais encore le Lars Von Trier dans la tête, je me sentais encore vidée et je n’en avais encore vu aucune image. J’étais encore très flottante et les premiers titres ont été enregistrés dans cet état. De retour à Paris on a continué le Chéreau et là, pour le coup, j’ai mieux compris ma place et eu du plaisir à retrouver l’équipe. Patrice a sa manière de travailler, intense et très proche des acteurs, avec un côté très animal dans sa façon de vous guider. J’avais très envie de cette proximité. Le rôle était pourtant étouffant. Cette Sonia est à l’opposé de moi, très loin de ce que je connais de la vie.
Et l’album, comment l’avez-vous abordé?
Avec l’envie d’explorer le plus de choses possibles et de ne surtout pas m’enfermer dans un style. Beck me semblait être un complice idéal, il est prolifique, libre, parfois expérimental. Il s’autorise plein d’horizons qui, au bout du compte, deviennent les siens. Il a apporté des dissonances et des percussions qui me plaisent beaucoup car elles entrent en résonance avec ce que faisait mon père sur Couleur Café ou sur New York USA. Je tenais aussi aux chœurs de femmes avec des voix très ouvertes. Quelque chose de plus extraverti, franc. Beck m’a fait découvrir le blues de Robert Johnson, M.I.A, Animal Collective, Grizzly Bear. Il crée dans la spontanéité alors j’ai fonctionné pareil, sans trop me soucier même si j’étais venue avec quelques bagages: un recueil d’Apollinaire, Alice au pays des merveilles et une liste de mots, des ébauches de textes dont je n’étais pas fière ni satisfaite… Mais qui l’ont inspiré, il me semble, pour les titres Heaven Can Wait et Dandelion.
Et l’étonnant Le Chat du café des artistes ?
C’est une reprise du québécois Jean-Pierre Ferland. Beck me l’a fait écouter, j’ai adoré. Certains pensent à mon père à cause des violons, en fait ça correspond à une époque et moi, ça me fait plutôt penser à James Bond avec ce côté symphonique et grave, en contraste avec une légèreté troublante. Sur ce titre, comme sur Dandelion, j’avais toujours envie d’aller dans les graves. J’ai tendance à m’interdire de partir dans les aiguës, d’aller vers cette voix de tête qui m’est plus naturelle. Paradoxalement, j’avais aussi tendance à revendiquer une certaine légèreté qui s’est mieux affirmée sur la fin de l’enregistrement, lorsque je suis retournée à Los Angeles avec mes enfants, dans une ambiance plus familiale, plus décontractée. Cela a donné notamment Greenwich Mean Time, Trick Pony.
Avez-vous vu le film Gainsbourg Héroïque ? Qu’en attendez-vous ?
Non, je ne l’ai pas vu et je n’ai pas d’attente. Cela ne m’appartient pas. J’ai entendu dire que c’était très bien, donc je suis contente. Pour l’instant ça me suffit. Pourquoi faudrait-il que j’en parle ? Bien sûr, de mon père, on sait que je garde sa maison et que j’ai même pensé pouvoir en faire un musée. Mais j’ai fait marche arrière et cela m’a provisoirement soulagée. J’ai réalisé que j’avais besoin de fermer la porte. Et que j’avais aussi le droit de garder quelques secrets, une partie intime. De toute façon, mon père appartient déjà à tout le monde et c’est très bien comme ça. Je ne me sens pas responsable de sa mémoire même si rien n’est plus important, pour moi, que de préserver mes souvenirs.
Quels sont vos objectifs aujourd’hui ? La scène ? Le cinéma américain ?
Je ne sais pas. Je ne suis pas dans le calcul. Je vais vers des collaborations comme avec Beck, avec Chéreau, et les choses se font. Ou pas. On imagine qu’avec le prix de Cannes, je croule sous les propositions. En fait il n’y en a pas tant que ça. Lynch et Coppola ne m’ont pas encore sollicitée ! (rires) La scène m’attire en ce moment, évidemment car j’ai un sujet, la musique. Je ne suis pas encore prête mais j’aimerais étudier cette possibilité. Ma mère, qui adore ça, m’encourage à en faire l’expérience. Pour ce qui est du théâtre, c’est une autre histoire. Ce n’est pas l’envie qui manque, mais plutôt le temps.