Un troisième enfant, une nouvelle tournée, un Lars von Trier en projet… Charlotte Gainsbourg fuse, excelle et fait taire les rumeurs. Entretien.
ELLE : Que vous a apporté la musique ?
Charlotte Gainsbourg : Une transition, ce qui m’a beaucoup détendue par rapport au cinéma. Tout d’un coup, j’avais un autre centre d’intérêt, un nouveau médium pour m’exprimer. Il y a eu plusieurs étapes : l’album de mon père lorsque j’étais enfant, celui avec Air, qui m’a permis de me reprendre en main, puis l’album avec Beck, où je me suis amusée. Dans cette tournée avec Connan Mockasin, je m’accepte comme je suis, je n’ai plus à me prouver quoi que ce soit. Connan a compris que beaucoup de choses m’intimidaient. Il a une manière très délicate de me montrer qu’il n’est pas plus à l’aise que moi.
ELLE : Pour vous, le cinéma générait de l’angoisse ?
Charlotte Gainsbourg : Non, mais le fait d’avoir eux centres d’intérêt dédramatise. Et puis, quand on est occupé au cinéma, on a envie de faire de la musique, et vice versa. Et rien que le désir de refaire un album, ou un fi lm, est déjà très important.
ELLE : Dans le magazine « Oyster », vous parlez pour une fois de votre douleur à la mort de votre père…
Charlotte Gainsbourg : C’est vrai que, d’habitude, je me protège beaucoup par rapport à mes parents, car on me parle tout le temps d’eux. Ce n’est pas normal, j’ai 40 ans quand même ! [Rires.] Heureusement, je suis changeante, il y a des jours où j’ai envie d’en parler, d’autres où c’est plus difficile. En fait, je ne me saisis pas toujours très bien, et je trouve que ça me convient de ne pas tout comprendre.
ELLE : C’est plutôt rare, dans ce métier…
Charlotte Gainsbourg : Ça ne me réussit pas de tout contrôler. Déjà, j’ai du mal avec l’image, avec le fait d’être très obsédé par soi-même, ce qui est inhérent à ce métier. Bien sûr, je pourrais prétendre que je me fiche d’être filmée n’importe comment. Mais ce n’est pas vrai. Et cela implique de se regarder tout le temps, ce qui est fatigant. Je préfère les imprévus, les jeux du hasard, quand on ne sait pas si une scène peut être bien jouée ou pas. Il y a des actrices qui savent quelle lumière leur va, comment jouer au mieux. Ça peut être admirable, mais moi, je veux être la moins professionnelle possible. Ça me plaît de ne pas savoir et de continuer à ne pas savoir.
ELLE : C’est ça, la définition d’un artiste, pour vous ?
Charlotte Gainsbourg : Ah non, pas du tout. Je ne me sens pas artiste, il y a un côté prétentieux dans le terme qui me gêne. Un artiste ne peut pas vivre sans son art. Or, moi, je peux. Ce métier me manquerait, mais je saurais vivre sans. Je n’ai pas un besoin vital de m’exprimer.
ELLE : Vous venez de tourner un fi lm sous la direction d’Yvan Attal, dans lequel vous incarnez une lesbienne en couple avec Asia Argento…
Charlotte Gainsbourg : Je me suis bien amusée. A vrai dire, c’était très naturel pour moi. La fille en question est assez brutale, et Asia, très sensuelle. On forme un bon couple, qui vient d’avoir un enfant. Alors j’allaite, comme dans la vie.
ELLE : Vous plaisez d’ailleurs beaucoup aux filles…
Charlotte Gainsbourg : J’aime les femmes comme si je n’en étais pas une. [Rires.] Je comprends l’attirance qu’éprouvent les hommes pour elles. Surtout les femmes avec des formes, une vraie féminité très loin de moi.
ELLE : Aimez-vous être dirigée par votre compagnon ?
Charlotte Gainsbourg : Oui, j’aime son regard. J’aime sa manière de fi lmer. Et puis il n’y a que lui pour m’imaginer dans ce genre de rôle. Mais je suis encore très susceptible. Je l’étais horriblement sur le premier fi lm, presque réticente à accepter qu’il soit le chef. Il ne prend pas de gants pour me parler, et c’est bien normal vu notre « passé ensemble ». Au deuxième, je me suis dit, bon, il faut que je me détende, et, au troisième, je suis encore plus détendue.
ELLE : Vous n’aimez pas que les réalisateurs vous donnent des ordres ?
Charlotte Gainsbourg : Si, mais pas quand c’est mon compagnon, car cela équivaut à une prise de pouvoir. A la maison, personne ne domine l’autre.
ELLE : Avec Lars von Trier, en revanche, vous assumez un certain masochisme…
Charlotte Gainsbourg : Oui, enfin, jusqu’à un certain point ! Quelque chose me pousse à lui faire confiance. J’aime son travail. Je l’admire et le respecte. Et je sais qu’il me respecte aussi, ce qui me permet de me laisser aller assez librement.
ELLE : Même quand il déclare que « The Nymphomaniac », votre prochain projet en commun, sera un « film porno » ?
Charlotte Gainsbourg : Il prend toujours l’angle le plus provocateur pour se faire entendre. Je ne ferais pas un fi lm porno, de toute façon. Je suis tout de même allée loin dans « Antichrist ». J’espère que, cette fois-ci encore, il y aura une originalité, une profondeur.
ELLE : Son côté provocateur vous fait-il penser à votre père ?
Charlotte Gainsbourg : Oui, d’ailleurs il est plutôt paternel avec moi, ça me touche. Mais ce n’est pas du tout la même provocation que celle de mon père.
ELLE : Comment cela se passe avec vos trois enfants ?
Charlotte Gainsbourg : Trois enfants, c’est costaud. C’est super, parce qu’il y a des rapports inattendus qui se créent entre eux. Mais je suis mauvaise organisatrice, je laisse les choses se faire par accident.
ELLE : Vous n’avez pas assez d’autorité ?
Charlotte Gainsbourg : Si, j’ai beaucoup d’autorité, mais je croyais être quelqu’un de très rigoureux et, en fait, pas du tout. Plus ça va, plus ça me dépasse. Je suis dépassée par les tâches de la vie courante.
ELLE : Un magazine a parlé de séparation entre vous et Yvan Attal…
Charlotte Gainsbourg : Et c’est faux. Mais ça ne regarde personne. Certains prétendent que, du moment qu’on fait du cinéma, on appartient à tout le monde ! Moi, je n’appartiens à personne. Personne n’a le droit de me photographier à mon insu ni de raconter des choses erronées sur mon compte. Les gens se posent des questions, on a des coups de fi l d’amis qui nous demandent si tout va bien… C’est perturbant.
ELLE : Pour la première fois, vous êtes ambassadrice d’une association humanitaire, Care France, qui vient en aide aux populations démunies.
Charlotte Gainsbourg : Des membres de cette association m’ont abordée lors de la Journée internationale de la femme. Ils m’ont expliqué qu’énormément d’oeuvres caritatives fonctionnent grâce aux femmes, car, à travers elles, on touche leur mari et leurs enfants. C’est bien de nous mettre en avant. Maintenant, j’ai envie d’aller sur place et de m’investir vraiment.