Par Michel TROADEC, Ouest France, Dimanche 6 décembre 2009
Elle est née à la chanson avec son père. Elle y est revenue, il y a trois ans, sur la musique d’Air. Elle poursuit son apprentissage musical avec le surdoué Beck qui lui a écrit un nouvel album surprenant qui lui va comme un gant.
Charlotte Gainsbourg plaît. A tout le monde. Si Les Inrockuptibles ont salué un nouvel album très pop-rock, Paris-Match et Elle lui consacrent carrément leur une. Les magazines féminins raffolent de cette « fille de… femme de… », à l’intelligente carrière d’actrice et aux expériences musicales loin d’être anodines.
Charlotte reçoit dans une chambre d’hôtel, quartier Saint-Germain à Paris, près de son domicile. Repas avalé entre deux interviews. Gorgées de thé vert entre deux phrases. Mince, souriante, à l’écoute, directe dans ses réponses, elle est à l’aise. On la regarde du coin de l’oeil, avec cette impression de l’avoir vue grandir. Fille d’un des couples les plus mythiques des années 1970, elle a été sous les objectifs dès l’enfance. Poussée par sa mère vers le cinéma à 13 ans (Paroles et musique). Poussée par son père vers la chanson la même année (le duo Lemon Incest).
Certes, son nom, son statut, lui ouvrent des portes. Mais c’est bien sa personnalité qui fait la différence. Pas sûr, autrement, que Beck, brillant musicien américain à la culture et aux influences si vastes, ait accepté de consacrer de longs mois à écrire, composer et arranger ce disque.
500 000 disques vendus
Pour tout dire, on n’attendait pas un nouvel album de Charlotte Gainsbourg si tôt. Elle avait tout de même attendu vingt ans avant d’en sortir un deuxième : « Il m’avait fallu du temps pour oser me dire que j’avais envie de me remettre dans la musique. Et puis, ça s’est fait, avec Air. J’étais intimidée. Ils sont deux. Ils dialoguaient entre eux. J’étais la troisième personne qui regardait, intervenait. » L’album (5:55) a été un succès, avec plus de 500 000 exemplaires vendus.
Sa maison de disques l’a donc relancée, lui demandant avec qui elle voulait travailler. « L’idée de Beck est venue naturellement. J’avais envie d’un disque différent, sans style déterminé. Avec lui, il me semblait qu’on pouvait tout se permettre. Il a un côté expérimental qui m’a beaucoup plu. Et on était face à face. »
Beck a su l’impliquer et ça se sent. « Il était très en demande. Il voulait voir les bouts de textes que je griffonnais. Je venais enfin de lire Voyage au bout de la nuit. On l’a utilisé. Tout comme des poèmes d’Apollinaire. Il me demandait sans cesse d’écrire en français. Il avait cette attirance là. Moi l’attirance inverse parce que ça mettait de la distance et que ça me libérait. »
La première fois, ils se sont vus cinq jours. Trois chansons sont nées. Et l’envie de continuer. Cela s’est fait par périodes de deux à trois semaines, chez lui, à Los Angeles. Après, seul, il peaufinait, réenregistrait les instruments.
Même s’ils partent dans plusieurs directions, les trois premiers titres enregistrés (In the end, Heaven can wait, Master’s hand) sont plutôt mélodieux. Après, ça se gâte… Charlotte rentrait du tournage d’Antichrist de Lars Von Trier, film dur, pour lequel elle a décroché le prix d’interprétation à Cannes. « Beck a une sensibilité qui lui permettait de comprendre l’état dans lequel j’étais. Je pense que je n’ai pas caché que j’étais moyennement bien. Ce n’était pas seulement lié au film. J’étais vidée. Heureusement qu’il était là pour mettre une certaine énergie pour que cela ne soit pas juste que des états d’âmes. »
Toujours pas chanteuse
Il y a plein de directions dans ce disque, de la ballade folk à la chanson rageuse, de la pop mélodieuse au son rock limite punk, avec un chant parfois méconnaissable. L’ensemble, construit par petites touches, en devient vite enthousiasmant.
Le souvenir de Serge Gainsbourg a moins plané sur ce disque que sur le précédent, « parce qu’on était loin de Paris et que ce n’était plus la première fois que je retournais en studio. » Et parce que Beck s’est montré discret sur son père. Pourtant, Charlotte s’est rendue compte qu’il connaissait très bien son oeuvre. « C’est moi qui lui en ai parlé. Parce que quand j’entendais les percussions et rythmes africains proposés par Beck, j’avais comme référence New-York USA et Couleur café. Et ça me plaisait d’avoir ce lien. »
Malgré cet album, Charlotte Gainsbourg ne se revendique toujours pas chanteuse : « Je me sens encore très débutante. Je le vois encore comme quelque chose d’accidentel. Alors s’assumer comme chanteuse à part entière… » Il n’empêche qu’elle apprécie la « liberté » et la « spontanéité » de ce « métier ». « Le cinéma, c’est très contrôlé. On est un peu le pantin d’un metteur en scène, même si c’est à nous de trouver notre liberté à l’intérieur de ça. »
IRM, Because, 14 titres.
Michel TROADEC.