Charlotte Gainsbourg sur la bonne voix (L’Express)

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Sereine et apaisée, la chanteuse prend désormais du plaisir à monter sur scène. Rencontre.

Par Julien Bordier, L’Express,publié le 27/04/2018

Auditorium de Bourges, jeudi 26 avril, 14h30. Dans une poignée d’heures Charlotte Gainsbourg sera sur la scène du Palais d’Auron, installée devant son piano. Pour le moment, elle est assise sur un désagréable fauteuil de jardin en plastique, au fond d’une salle de classe musicale aménagée en box d’interview. Elle est arrivée en jeans, baskets blanches et t-shirt gris, tenant à la main une sorte de bocal. Sous le couvercle, un remède maison citron-gingembre pour soigner une voix légèrement enrouée. On a vu des stars annuler des entretiens pour moins que ça. Mais l »artiste féminine de l’année » aux Victoires de la musique 2018 a envie de défendre Rest, son dernier album. Une oeuvre sépulcrale et sublime dans laquelle elle évoque avec une belle impudeur, en anglais et en français, le deuil de sa soeur Kate et la mort de son père, Serge Gainsbourg.

Le sujet pourrait être plombant. Charlotte Gainsbourg rayonne pourtant d’une sérénité à toutes épreuves. Cela n’a pas toujours été le cas avant une prestation. « Sur les tournées précédentes, tout était source d’angoisses. J’avais le trac d’oublier les paroles. Chaque soir, je passais en revue tous mes textes. Aujourd’hui, je suis surprise de prendre du plaisir en concert. Je me sens plus tranquille avec moi-même. Plus besoin de faire semblant. Je peux montrer que je ne suis pas faite pour la scène. C’est comme ça. C’est tout ce que j’ai à offrir. Il n’y a pas tromperie sur la marchandise. Je ne suis pas une chanteuse à voix. Je ne peux apporter que ma sincérité et ma personnalité. Au cinéma, j’ai toujours joué là-dessus : me fondre dans l’émotion du moment. »

Charlotte Gainsbourg a déjà analysé avec beaucoup de recul les changements opérés récemment dans son rapport à la musique et à l’héritage étouffant de son père. Alors, elle livre le fruit de ses réflexions en toute franchise. « Rest m’a permis à de vivre en paix avec mes défauts. C’est l’album où je me suis mis le moins de frein. J’en avais beaucoup jusque là. Avec Air [pour l’album 5:55, sorti en 2006], je retournais pour la première fois en studio sans mon père. C’était compliqué. L’album avec Beck [IRM, sorti en 2009] a été réalisé aux Etats-Unis. Je me sentais plus à l’abri. J’étais loin. Je me suis laissé prendre dans son histoire, mais mon père était toujours très présent musicalement. Et je ne voulais absolument pas chanter en français. Cette fois, je me suis laissé embarqué par mes propres inspirations quitte à garder mes maladresses. Parce que c’était moi. »

Dévoiler son intimité en chansons ne serait pas plus difficile que de se mettre à nu sur un plateau de Lars Von Trier. « Dans les deux cas, je me sens protégée. Je n’aurais pas pu écrire sur ces sujets sombres si je n’avais pas été défendue par la musique. Je cherchais une contradiction entre l’intimité des textes et la brutalité des compositions électroniques. »

« Je vais créer une Fondation Serge Gainsbourg »

En venant à Bourges, Charlotte renoue avec son histoire familiale. Trente ans que le nom « Gainsbourg » n’avait pas été à l’affiche du Printemps. L’homme à tête de chou est venu jouer ici en 1986 et en 1988. En 1987, il est aussi présent, mais derrière une caméra. Il tourne le documentaire Springtime in Bourges qui commence par l’arrivée en avion privé de Jerry Lee Lewis. Charlotte note sur son téléphone la référence du film qu’elle ne connaissait pas.

Puisqu’on parle famille, on lui demande des nouvelles de son projet de transformation en musée de l’hôtel particulier de son père, dont elle est propriétaire. « Je vais créer une Fondation Serge Gainsbourg et lancer un appel d’offres pour qu’on me propose des idées. Moi, je suis dans un carcan. J’ai tellement envie d’être sentimentale et de rester fidèle à l’image que j’avais de mon père que j’ai des oeillères. Je n’en peux plus de ma vision de petite fille du 5 bis rue de Verneuil. Je veux y échapper. Je ne peux plus tenir avec cette maison fantôme. » En concert, le spectre paternel vient hanter la setlist le temps de deux reprises, Charlotte for ever et Lemon Incest, qui s’accommodent parfaitement avec les titres de Rest.

Si Charlotte Gainsbourg a enfin décidé de faire entendre sa voix, chez elle, à New York, elle affectionne plutôt celle des autres. Elle se branche sur France Info pour garder le contact avec son pays natal. « Ça me fait du bien d’entendre des voix françaises. J’écoute aussi des podcasts, comme Transfert. Ce sont des tranches de vies. » Comme beaucoup, elle est bluffé par le rappeur américain Kendrick Lamar, mais ce qu’elle préfère surtout c’est écouter l’opéra Madame Butterfly à plein volume quand elle est seule à la maison. « Plus c’est too much, plus j’aime. L’opéra c’est tout ce que je ne sais pas chanter. » Charlotte Gainsbourg a une petite voix, mais c’est une grande dame.

 

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