C’est sans doute son tournage le plus extrême. Dans « Nymphomaniac », le nouveau film en deux volets de Lars von Trier, la comédienne incarne une sex addict prise dans la spirale de l’automutilation mentale et physique. Dans son entretien, Charlotte Gainsbourg va loin aussi dans l’aveu de ses hontes secrètes, de sa phobie de l’âge et de ses blessures, jusqu’à présent inavouées. Honnête avec nous et elle-même.
Par Fabrice Gaignault Photos Driu + Tiago. Stylisme : Jonathan Huguet – Marie Claire, Février 2014
Direction Copenhague. Mission : assister en avant-premiere mondiale, à la projection marathon de « Nymphomaniac », le nouveau film en deux parties de Lars von Trier qui ferait presque passer « Anti-christ » pour « Oui-Oui au pays de Roudoudou ». Charlotte Gainsbourg y incarne Joe, une nymphomane, au sens médical du terme, préoccupée depuis l’adolescence par une seule chose : la pénétration d’hommes dont elle n’a que faire, hormis satisfaire une monstrueuse addiction. Les scènes de sexe, nombreuses, sont parfois crues et filmées d’une façon clinique. Or certaincs séquences « SM » sont insoutenables. Mais « Nymphomaniac » c’est surtout l’époustouflante partition de Charlotte Gainsbourg en fille cabossée, piétinée. suicidaire. Une flamme qui pourtant, refuse de s’éteindre au fond du souterrain dans lequel elle s’enfonce corps et âme attachés. Et dans la vie, où va-t-elle, Charlotte ? Réponses uppercut entre résignation et révolte devant l’inéluctable marche de l’âge.
On sort groggy de » Nymphomaniac ». Pour vous, ça n’a pas au être évident ce tournage…
Charlotte Gainsbourg: Ça n’a pas été rien, effectivement. Mis à part le côté sexe, il y avait des scènes douloureuses d’autodesrrucrion. Mais, bon. j’aime les trucs difficiles. Et je ne regrette jamais les épreuves, au contraire.
Les déclarations de Lars von Trier il y a deux ans, sur le côté « brave type » de Hitler, ne vous ont pas refroidie ?
C’était une grosse connerie, qu’il a regrettée ensuite, mais ce n’est ni la première, ni la dernière. J’ai minimisé, je n’aurais peut-être pas dû. J’ai l’impression de savoir qui j’ai en face de moi, et ça ne correspond pas à ce que Lars montre parfois, par provocation.
Il vous maltraite dans ses films.
Oui, mais j’aime bien ça. Je dois être un peu masochiste. En même temps, c’est relatif; je souffre pour de faux. Je sais qu’on joue un jeu. Vous savez, dans la vie je me maltraite moi-même très facilement. J’aime les critiques. En fait, tout ce qui est négatif et un peu dur me plaît, jusqu’à un certain point.
Vous étiez quand même doublée, pour les scènes de sexe hard.
Oui. et c’était très étrange de voir entre mes jambes un sexe qui n’était pas le mien. Et très dérangeant d’imaginer que les gens puissent croire que ça m’appartient mais, bon, je me suis prêtée au jeu, je savais.
Il y a un hiatus entre l’impression de timidité que vous dégagez et les risques que vous prenez.
Je ne suis pas timide, je pense que je ne l’ai jamais été. Ça m’a longtemps arrangée de faire croire que je l’étais, par protection. « Timide » : je trouve le mot un peu mièvre. Chez moi. c’est plus de la gène.
Une pudique qui ose de drôles de trucs.
J’ai, sans m’en rendre compte, toujours envie d’aller dans une direction opposée à ce qu’on attend de moi. Ce n’est pas un hasard si j’ai à la fois chanté « Lemon incest » avec mon père et joué dans « Antichrist » pour Lars. Une forme de provocation assumée. Tout ce qui m’intéresse, c’est qu’on me pousse un peu dans mes retranchements, sinon c’est ennuyeux.
Vous n’avez pas peur de vous aliéner une partie de votre public ?
(Rires) Si j’ai peur de ça, je ne fais plus rien. Je ne veux pas être sage pour plaire. C’est sûr, ça peut être un choc de voir la gentille petite Charlotte de « L’effrontée » faire « Nymphomaniac ».
Votre boulimie de travail, c’est la volonté de ne plus perdre de temps après votre accident cérébral?
Avant, je passais mon temps à dire non à tout. Je traînais. Là je n’ai plus le temps de ralentir. C’est peut-être dû à la crainte que ma vie ne s’arrête, mais c’est surtout lié à la peur du vieillissement. Il va arriver un moment où je ne vais pas aimer voir défiler les années.
Une façon de neutraliser vos angoisses…
C’est vrai, je suis très angoissée. Il faut parfois que je brutalise un côté mélancolique, un penchant pas très joyeux. (Rires.) En même temps, j’aime beaucoup m’amuser. Mais dès que je suis seule je pique un peu du nez. Face à moi-même, je ne suis pas très heureuse.
Vous avez toujours autant de mal avec votre image?
Oui. j’ai du mal. En plus, je n’aime pas vieillir et je le vois. (Charlotte a 42 ans. ndlr.) Ça me gêne beaucoup.
Mais vous faites dix ans de moins…
Oh non, pas du tout ! Le cinéma, ça commence à être un peu hard pour moi. Je n’ai pas envie d’être embarrassée par mon apparence en me découvrant à l’écran. Alors c’est simple : soit j’accepte de vieillir et que mes traits se durcissent, soit je le refuse et j’arrête le cinéma.
Vous en êtes vraiment là?
Je trouve horrible l’entre-deux-âges: ni trop vieille, bien sûr. mais plus toute jeune. Je pensais qu’aborder les 40 ans, c’était ça le pire, le summum de l’horreur, mais en fait ça ne s’arrange pas. Le déclin continue. Avant, je croyais qu’il n’y avait que les beaux qui en souffraient, mais je peux vous assurer que les banales comme moi – même si je ne pense pas être moche -, on souffre et c’est très dur! (Rires.) J’ai été jeune très longtemps. J’ai l’impression que je vais sauter de jeune fille à vieille sans être passée par l’étape femme.
Mais vous la traversez, l’étape femme. C’est évident, à vous regarder.
Mais non, c’est déjà trop tard. Enfin, bon, je me comprends.
Vous seriez prête à tricher pour retarder les signes de votre vieillissement?
Je n’assumerais pas trop, mais je ne garantis pas que je ne vais rien faire. Le côte « Il faut rester naturelle », je l’ai pensé pendant très longtemps, mais maintenant que j’y suis je ne dirais pas la même chose. Les coups de pouce, j’ai entendu dire qu’il fallait qu’ils soient minimes pour que ça ne se remarque pas, à condition de ne pas attendre trop longtemps. Alors… je ne sais pas quand, mais peut-être bientôt.
Vous en partez avec votre mère ?
Ma mère part de tellement beau… C’est vrai qu’elle est un exemple pour moi. Elle ne touche à rien, et il n’y en a pas beaucoup comme elle dans le métier. Elle a sa pudeur, mais on se tient les coudes mutuellement. Elle m’est d’un soutien énorme, parce qu’elle est passée par là et comprend tout ce que je ressens en ce moment.
Comment gérez-vous votre emploi du temps surchargé ?
Je suis un peu dépassée. Tant que mes deux premiers enfants étaient petits, je pouvais les trimballer partout. Au bout d’un moment ce n’est plus possible. Pour le tournage de « Nymphomaniac ». j’avais emmené la toute petite et je revenais tous les week-ends pour voir le reste de la famille. C’est assez marrant, d’ailleurs, le contraste entre les journées de tournage très épiques et l’hôtel, le soir, avec mon bébé que j’allaitais encore. Je passais de l’ange au démon. Une alchimie démente.
Ces longs tournages à l’étranger sont-ils parfois source de tensions, à la maison, avec Yvan Attal ?
On est complètement explosés. Ça se calme un peu, mais c’est dangereux pour un couple, à la longue.
Où en êtes-vous de sa demande officielle en mariage ?
J’ai bien sûr accepté, c’était très marrant comme demande, mais je ne suis pas sûre qu’on va le faire. (Rires.) Il nous est venu ensuite une sorte de petite angoisse. On verra bien… Après coup, on s’est dit qu’on était très heureux comme ça, sans se marier.
Vous êtes considérée comme une icône de la mode. Ce qui est curieux, c’est que vous ne faites rien pour…
Je trouve ça flatteur mais pas très justifie. Je ne me trouve pas très branchée, pas très à l’écoute de la mode et de ce qu’il s’y passe. J’aime m’habiller, mais je n’ai pas d’excentricité. J’ai mon style à moi, forcément un peu limité.
Quels sont, selon vous, vos principaux défauts?
Je suis très instable, très influençable. Je ne me trouve pas rassurante. Et ce n’est pas bien vis-à-vis des enfants. Je n’ai aucune pudeur devant eux par rapport à mes incertitudes. Je n’arrête pas de penser que j’ai raté quelque chose dans mon rôle de mère. Je leur donne une image un peu vacillante. Avec Yvan, on est complémentaires, il est plus solide que moi. Mes enfants ont au moins cette protection-là.
Votre destin, c’est le hasard qui aurait bénéficié d’un coup de pouce?
Oui, complètement. Je suis extrêmement heureuse du chemin parcouru mais je me dis toujours : « Peut mieux faire ». Des coups de pouce, oui. j’en ai eus. Beaucoup de très heureux hasards aussi. Bon. j’espère quand même que ce n’est pas fini. ■