Par TéléMoustique n°4375 – 02/12/2009
La fille de son père s’associe au génie freak pour un audacieux voyage musical qui ne doit rien à personne.
Le jour où Charlotte Gainsbourg était de passage à Bruxelles pour parler de son nouvel album « I.R.M. », son mari, le réalisateur Yvan Attal, assurait la promotion de son film Rapt dans un autre hôtel de la capitale, à quelques minutes en taxi de là. Malgré un timing serré, les deux tourtereaux ont pris le temps de déjeuner ensemble avant de retourner à leurs obligations professionnelles.
Si le hasard des plannings fait parfois bien les choses, il n’est par contre pour rien dans la rencontre entre Charlotte Gainsbourg et le musicien californien Beck qui a débouché sur ce merveilleux « I.R.M. ». De l’artisan touche-à-tout Beck, on sait depuis toujours qu’il voue un culte à Serge Gainsbourg. Il est même allé jusqu’à utiliser un extrait de Melody, tiré de « L’histoire de Melody Nelson », sur son disque « Sea Change » en 2002. La connexion va encore beaucoup plus loin. Apprenant que son père, David Campbell, avait été recruté pour arranger des cordes sur l’album « 5:55 » de Charlotte Gainsbourg en 2006, Beck s’était alors arrangé pour passer en studio. « Nous avions déjeuné ensemble avec le producteur Nigel Godrich, Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel (du duo Air) avec qui j’enregistrais « 5:55″, se souvient Charlotte Gainsbourg. Ils ont proposé à Beck de collaborer sur l’une ou l’autre chanson, mais il avait trop de projets en route et il a dû décliner. Je savais pourtant que ce n’était que partie remise. Quand j’ai rappelé Beck en 2008, il a immédiatement dit oui. »
Vingt ans après « Charlotte Forever », disque enregistré avec papa et sorti au moment où elle remporte le césar du meilleur espoir féminin pour son rôle dans L’effrontée de Claude Miller, l’album « 5:55 » est un succès critique. Charlotte chante en anglais et la collaboration avec Air lui donne crédibilité et assise internationale. De manière très malicieuse, l’hebdo musical NME suggère alors que « 5:55 » est plus incestueux que ne l’a jamais été l’ouvre de Serge Gainsbourg. Une manière polie de dire qu’il contient dans chacune de ses notes l’ADN du créateur de Melody Nelson. Cette « erreur » ne se répète pas sur « I.R.M. ». En tout cas, pas de manière aussi flagrante. Ce nouvel album, toujours chanté en anglais à l’exception de la reprise de la chanson québécoise Le chat du café des artistes, nous plonge dans un univers inédit qui doit autant à la culture freak de Beck qu’à la personnalité de son interprète. « Ma contribution est importante dans la mesure où j’étais présente à chacune des étapes. D’une certaine façon, Beck a canalisé tout ce que je ressentais », souligne Charlotte Gainsbourg. Et nous la croyons sur parole.
« I.R.M. » a été enregistré sur une période d’un an et demi. Qu’avez-vous ressenti en écoutant pour la première fois l’album en entier?
Charlotte Gainsbourg. – Je ne peux pas encore me faire à l’idée que c’est terminé. Jusqu’au bout, il y a eu des hésitations. J’aimerais avoir le recul nécessaire pour apprécier tout ce travail accompli. Je l’ai pour les morceaux, pris un par un, mais pas encore pour l’album pris dans sa globalité.
Beck était-il pressenti dès le début pour s’occuper de tout l’album?
Non. Nous avions décidé initialement d’organiser une séance de cinq jours dans son studio à Los Angeles. Nous avons commencé par un duo, Heaven Can Wait, parce que c’est sans doute la chose la plus évidente à essayer lorsque vous faites pour la première fois de la musique avec quelqu’un que vous ne connaissez pas. Ce duo est pop, classique dans sa construction et fonctionne magnifiquement bien, presque de manière naturelle. Ensuite, nous avons avancé sur In The End, une mélodie dépouillée, toute simple, de deux minutes. Mais c’est avec Master’s Hands, la chanson qui ouvre l’album, qu’il s’est passé quelque chose. Beck a introduit des percussions tribales et, sans que nous en parlions vraiment ensemble, il a pris une direction qui me convenait parfaitement. Il a aussi ajouté cette idée du pantin, qui me rappelle un peu la relation qu’une comédienne peut avoir un réalisateur. Je me sentais bien dans cet univers.
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Comment est-il en privé?
Comme moi, Beck paraît timide, mais ce n’est pas de la timidité. Il a une idée à la fois juste et précise de ce qu’il veut. Il sait ce qui le motive et communique très peu. Il faut accepter ce côté mystérieux. Après avoir fait un album avec lui, je ne peux pas dire que je le connais bien. Nous ne sommes pas des amis proches. Si je le croise, nous n’allons pas nous taper dans le dos. Mais l’essentiel est ailleurs. On s’est trouvés l’un l’autre. Il a capté plein de choses en moi, il a réussi à se mettre dans ma peau. En fait, peut-être que nous avons la même peau.
Vous souvenez-vous d’un geste, d’un mot, d’une attitude de sa part qui vous a mise en confiance?
Il m’a offert un iPod sur lequel il avait chargé toutes ses chansons préférées. C’est le plus beau cadeau qu’il pouvait me faire. Bon, c’est un peu chiant, parce que je tombe parfois sur un morceau génial sans savoir ce que c’est. Mais c’est passionnant. Ses références sont très anciennes. De la musique brésilienne, des vieux blues de Robert Johnson, des trucs américains très roots.
« I.R.M. », c’est la vision de Beck ou la vôtre?
Je ne voulais pas qu’il écrive des chansons dans son coin et me refile ensuite les mélodies et les paroles. Je voulais être impliquée et il a progressé selon mes réactions. Quand je venais avec trois mots ou un son, il avait déjà le texte en entier et les arrangements. C’est ce que je recherchais. Quand on entend des chansons comme Me And Jane Doe, Trick Pony ou Time Of The Assassins, on voit l’Amérique profonde, avec ses clichés, certes, mais du point de vue d’une étrangère. Je découvre cet univers, je garde mon accent anglais et ma personnalité. Je suis entrée dans une culture que je ne connaissais pas et c’était le but. Beck est un « passeur ».
Beck a samplé la musique de votre père et le considère comme une influence majeure. Vous en avez parlé ensemble?
Non. Beck a eu la pudeur de ne jamais évoquer mon père et ça m’a touchée. La présence de mon père demeure très forte chez moi et autour de moi. Je suis certaine que Beck l’a remarqué. Mais cette influence commune nous semblait tellement évidente qu’il n’était pas nécessaire d’en parler.
Mais vous y avez pensé?
Bien sûr. Si cet album doit se rapprocher d’un disque de mon père, ce serait « Gainsbourg Percussions ». Plus d’une fois, j’ai pensé aux chansons Couleur café et New York USA.
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Votre prochain challenge, c’est la scène?
J’ai envie de donner des concerts. Beaucoup, je ne sais pas. Je répète actuellement avec les musiciens de Beck. A la sortie de « 5:55 », je n’avais chanté qu’à deux ou trois occasions en live, notamment à Flagey à Bruxelles, et c’était franchement affreux. Je me sentais bloquée. Je ne joue pas d’un instrument, je n’ai rien pour me protéger. Si on n’est que chanteuse, il faut amener quelque chose que je ne possède pas. Et puis, je manquais aussi de courage. Quand je me suis posé pour la première fois la question des concerts, c’était il y a presque quatre ans. J’ai commis l’erreur d’aller voir Radiohead, Beck, Camille et Fiona Apple. Après ça, j’ai pensé que je n’avais rien à faire sur scène, que ce n’était même pas la peine d’essayer. Cette fois, c’est promis, je n’irai voir personne.