Par Gilles Médioni (L’Express), publié le 07/12/2009
A l’écran, elle joue dans Persécution de Patrice Chéreau. Sur disque, elle réussit son IRM, un album électro-folk enregistré avec Beck. En attendant la scène…
Charlotte, comédienne
Se remettre en question à chaque fois. Prix d’interprétation féminine à Cannes cette année pour Antichrist, de Lars von Trier, Charlotte Gainsbourg l’antistar ne rechigne pas à l’épreuve de l’audition. « Afin de convaincre Patrice Chéreau de me donner le rôle de Persécution, j’ai décidé de passer des essais. J’avais déjà tourné un petit film avec lui pour Amnesty International et je m’étais trouvée nulle : j’étais triste d’avoir laissé passer ma chance. En général, je préfère cela à une simple rencontre. » Dans Persécution, elle joue l’amoureuse d’un homme qui ne sait pas comment aimer.
Le Je (im)pudique ? Les scènes nues d’Antichrist ont fait couler beaucoup d’encre mais n’ont pas choqué l’intéressée. « Je me sentais davantage gênée de montrer mes larmes et ma peine que d’exhiber mes fesses. Au fond, peut-être suis-je quelqu’un de très impudique. » Quoique le curseur de l’impudeur puisse varier. « Le sujet est revenu sur le tapis à propos de la chanson IRM, qui évoque une histoire personnelle [une hémorragie cérébrale survenue en septembre 2007]. Mais je n’avais pas l’impression de révéler un secret, alors… »
De la technique du comédien. « Le plus grand challenge sur un tournage, c’est de prendre possession du rôle. Pour I’m Not There, de Todd Haynes, je me suis soudain sentie dépassée [elle joue Claire, la compagne de Robbie, l’une des facettes de Dylan]. Un coach m’a exposé les enjeux de chaque scène, il m’a soutenue, il a compris mon trac. » Depuis, les mains de Charlotte tremblent moins. Gainsbourg (vie héroïque). Joann Sfar a proposé à Charlotte d’interpréter son père dans le film. « Sa manière originale de raconter le scénario me faisait rêver. Je me suis longtemps posé la question, ce qui m’a énormément perturbée. Après, j’ai eu mon accident cérébral. Cet événement m’a sans doute aidée à tout mettre de côté. Je n’allais pas faire un film pour m’autoanalyser. Il y a des limites au cinéma, quand même ! »
Gainsbourg, chanteuse
S’apprivoiser avec Beck. Après 5:55, album éthéré enregistré avec Air (2006) et écoulé à 500 000 exemplaires, Charlotte Gainsbourg a collaboré avec Beck. « J’ai voulu essayer le plus de directions possibles, même si c’étaient des styles empruntés, comme le punk… » Au programme : pop, folk, rock, électro et percussions africaines. L’album, particulièrement réussi, renvoie des échos planants et inquiétants, mais aussi mélodieux et apaisants. Beck et Gainsbourg cosignent les textes. « Je suis entrée dans son monde avec mon vécu, mes états d’âme, mes lectures. J’avais emporté un recueil d’Apollinaire, dans lequel j’ai pioché des thèmes – la mémoire, le temps, la mort – pour la chanson The Collector. » L’univers de Lewis Caroll lui a inspiré un titre, disponible sur la version « deluxe » du CD : Looking Glass Blues.
Ma vie dans mon disque. « Avant de me lancer dans cet album, j’ai vécu neuf longs mois d’angoisse. J’étais obnubilée par la peur de mourir. Ces IRM passées à la chaîne m’ont rassurée, malgré le côté paniquant de l’examen et ces bruits de marteau-piqueur. J’ai très vite décidé de les transformer en autre chose et j’ai fait écouter des samples de sons d’IRM à Beck. »
Chanter sur scène. Charlotte a joué une pièce de théâtre, Oleanna, de David Mamet (1994) et rejoint le groupe Air à La Cigale (2007). Mais elle ne s’est encore jamais produite en concert. C’est prévu pour le printemps 2010. « Jusqu’ici, j’avais des problèmes de légitimité à monter sur scène. Je n’écris pas mes textes, je ne compose pas. Et puis, je suis débutante… à 38 ans. » Carla Bruni aussi a commencé à la trentaine. « Mais elle a un style fort. J’espère amener assez de moi-même pour convaincre. »